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le seuil. Avant de nous engager dans le labyrinthe de ses symboles et de ses allégories, l’enchanteur nous met dans la main le peloton d’Ariane. Nous savons où nous allons : du ciel, par le monde, à l’enfer !

C’est la Divine Comédie renversée. Ce que le catholicisme latin avait mis en haut sera mis en bas par le panthéisme germain. Le progrès humain ne se développe plus en hauteur, mais en profondeur. Faust abandonne le ciel de la spéculation métaphysique pour le monde des réalités sensibles, au-dessous duquel sa pensée « rapide et calculée » poursuit son mouvement de descente vers les régions obscures des élémens naturels et des premiers principes : tel est son enfer à lui. C’est le monde des forces inconnues qu’étudie la science, l’abîme souterrain où s’enflent les sources du devenir. Notons que Flaubert, dans sa Tentation de saint Antoine, — vraisemblablement sous l’influence de Goethe, — a suivi une marche parallèle. Son anachorète, parti des suprêmes hauteurs théologiques, après avoir traversé les extravagances des hérésiarques, succombe finalement à une sorte de fascination du monde inférieur. Il aspire à se fondre dans le grand Tout, à devenir Matière, à « être la matière. » Faust, parvenu à son étape finale, aspire, il est vrai, à devenir Esprit. Mais ce n’est là qu’une question de mots. Au fond, le désir des deux héros est pareil. Spinosistes l’un et l’autre, ils croient à l’identité de l’Esprit et de la Matière, les deux faces de la substance unique, qui est divine.

Mais, après tout, qu’importe le point d’arrivée ! L’essentiel est de vivre, et, pour vivre intensément, de renoncer aux chimères de la spéculation, où se gaspille et se perd sans profit le meilleur de l’effort humain. Tout de suite, dès ses premières paroles, Faust ne nous laisse aucune illusion à ce sujet. Avec une franchise brutale, le vieux docteur désabusé envoie promener ses « bouquins rongés des vers » et toute la science universitaire. Il dit leur fait aux quatre facultés : « Hélas ! philosophie, jurisprudence, médecine, et, pour mon malheur, théologie aussi, j’ai tout approfondi avec une ardeur laborieuse et, maintenant, me voici là, pauvre fou, aussi sage qu’auparavant. Je m’intitule sans doute maître, docteur, et, depuis dix ans, de-çà, de-là, en long, en large, je traîne mes élèves par le nez, — et je vois que nous ne pouvons rien savoir. Voilà ce dont mon cœur est presque consumé. En effet, j’en sais plus que tous les