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poème, nous l’allons voir tout rejeter au moule pour le façonner à sa guise, rebrasser la matière des vieux mythes, des vieilles morales et des vieilles religions pour leur imposer despotiquement sa pensée. Il ressuscitera Hélène, mais il lui arrachera son âme et lui fera parler une langue barbare. Il évoquera la Vierge, les Saints et les Anachorètes, mais pour leur faire jouer une parodie panthéiste de la béatification catholique. Vains fantômes, qui ne reposent plus sur le terrain solide de l’histoire ou du dogme, qui sont suspendus au seul caprice de l’évocateur et qui s’évanouissent en fumée. Le Germain, comme le Sémite, est l’ennemi des dieux étrangers : il les abat, ou bien il les violente, les tord et les contraint d’exprimer ce qu’il lui plaît. Les siens, il les vide de toute substance et il leur insuffle sa volonté, qu’il finit par adorer sous leur nom. Catholicisme, protestantisme, chez lui, sont des formes illusoires, à l’abri desquelles se dissimule le gros instinct dévotieux de la bête mystique allemande, agenouillée devant « le vieux Dieu » de sa mythologie, le seul auquel elle croie, parce que ce Dieu, c’est elle-même divinisée.


La volonté, le vouloir-vivre éperdu, voilà, au fond, l’unique dieu de la race. Faust, en grand Germain, est d’abord, lui aussi, une volonté, une volonté d’où procède une intelligence presque divine, mais qui se soumet de plus en plus au triomphe pratique de la volonté. Dieu s’est réservé les lumières éternelles, et il n’a laissé à l’homme qu’une demi-clarté. Oui, sans doute, reconnaît Faust. Mais moi je veux ! Il veut d’une volonté allemande, c’est-à-dire « profonde et soutenue, » car c’est à ce signe que se reconnaît la volonté nationale : « Vous, dont l’ardeur soutenue et profonde vous assure la victoire, vous, fleur juvénile du Nord, vous, force charmante de l’Est ! » Ainsi chante Faust, saluant les valeureuses phalanges de la Germanie future. Pour lui, l’intensité continue de son vouloir va bientôt l’égaler au Tout-Puissant. « Il est temps, dit-il, de montrer par des actes que la dignité humaine ne le cède en rien à la grandeur des dieux. » Et déjà il se hausse jusqu’à eux par la force de son intelligence : « Esprit sublime, tu m’as donné tout ce que je te demandais. Tu m’as donné la puissante nature pour royaume, tu m’as donné de lire dans sa poitrine comme dans