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s’empressent autour du grand homme et l’acclament comme leur sauveur, l’illustre savant leur montre le ciel, en prononçant avec une pieuse humilité :

— « Prosternez-vous devant Celui qui est là-haut ! Lui seul enseigne à secourir, Lui seul est notre secours. »

C’est étrange comme ce petit sermon du docteur Faust rappelle certaines homélies impériales.

Ainsi préparé, muni de sa Bible à lui, de sa bonne Bible allemande, qu’il a revue et corrigée avec une critique judicieuse, adaptée aux exigences du monde comme à celles de sa raison pratique, il peut désormais se lancer hardiment dans la vie, dans la rude et inhumaine bataille de la vie telle qu’il la conçoit.


Mais, au sortir de ses livres et de sa science chimérique, il n’est d’abord qu’un homme, un pauvre homme désarmé et nu. Et pourtant son cœur déborde de convoitises. Où va-t-il trouver la puissance de les satisfaire ? — « En vain, dit-il, j’ai accumulé sur moi tous les trésors de l’esprit humain. Lorsque, à la fin, je me recueille, nulle force nouvelle ne jaillit de mon sein. Je ne suis pas d’un cheveu plus grand, je ne suis pas plus près de l’infini… Que sais-je donc, s’il ne m’est pas possible d’atteindre cette couronne de l’humanité, vers laquelle se pressent tous mes sens ?… »

Alors, une voix à l’accent railleur et trivial, qui n’est, en réalité, que l’écho de sa propre pensée, lui souffle à l’oreille les remontrances de la sagesse pratique. Oui, évidemment, l’homme ne peut pas grand’chose par lui-même ; mais, au lieu de gémir sur sa faiblesse, qu’il commence donc par tirer le meilleur parti possible de ses petits avantages : — « Que diantre ! tes mains et tes pieds, ta tête et ton derrière sont bien à toi. Et, parce que je me sers vaillamment d’une chose, est-ce donc à dire qu’elle est, par cela, moins à moi ? Si je compte six chevaux à mon service, leurs forces ne sont-elles pas les miennes ? Je les monte, et me voilà, moi pauvre homme, avec vingt-quatre jambes. Alerte donc ! Trêve de réflexions, et lance-toi avec moi dans le monde ! Je te le dis : Un drôle qui spécule est comme un animal qu’un esprit malin fait tourner sur l’aride bruyère, tandis que, tout autour, s’étendent de beaux et gras pâturages. »