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Ces petits jeux rustiques et divins ne peuvent être qu’un passe-temps pour le fils de Faust. Il lui faut le tumulte des batailles et les lauriers du conquérant : — « Eh quoi ? Rêvez-vous le jour de la paix ? Rêve qui peut rêver ! Guerre, c’est le mot d’ordre. Et victoire, c’est la chanson ! » — Finalement, il sombre dans un accès de mégalomanie éperdue. par-delà les eaux, une île prochaine le fascine. Qu’importe l’espace ! C’est par les voies de l’air qu’il s’abattra sur sa conquête. Des ailes le soulèvent. Le voilà en plein ciel ! Il plane, il tombe, il meurt écrasé contre le sol…


Ainsi le sourire de la Beauté n’a pu arrêter Faust dans sa course à l’abîme. L’art comme tout le reste a déçu son perpétuel besoin d’agitation. Alors il se retourne vers la grande consolatrice, vers cette nature, dont l’Esprit de la terre lui a donné le royaume, avec la faculté de lire en elle « comme dans le sein d’un ami. »

Devant les hautes montagnes, ses effusions lyriques sont brèves. Il n’a pas le temps de contempler, ni de rêver. Le souci du « pratique » le tourmente de plus en plus. Que des têtes creuses de poètes s’égarent dans les mondes chimériques de l’imagination : « ce globe terrestre offre encore assez d’espaces pour les grandes actions. Oui, quelque chose de prodigieux va s’accomplir. Je me sens fort pour une œuvre hardie… » Et le docteur s’exalte encore une fois. Il se bat les flancs avec fureur, pour s’entraîner à l’action. Il menace le monde entier : « Je veux conquérir la domination, je veux posséder. L’action est tout, la gloire rien ! » Parole vraiment allemande, jaillie des profondeurs mêmes de la race ! Gœthe, ici, fait écho à Luther : « La foi est tout, les œuvres rien ! » Sous une apparence contradictoire, c’est la même affirmation orgueilleuse du moi toujours agissant et supérieur aux formes changeantes de son activité.

Qu’est-ce que Faust va donc accomplir de si prodigieux ?… Il va se battre avec la mer, grande force stérile qui occupe des espaces immenses. Ces espaces, il les lui arrachera, il les conquerra sur elle, pour en tirer des richesses dormantes et ouvrir à l’homme un vaste champ d’action : « Atteindre à cette jouissance suprême de chasser du rivage la mer arrogante, de