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Mais cette dame avait l’esprit viril ; si son corps mince semblait immatériel, elle était hardie, entreprenante, montait à cheval comme un mousquetaire, tirait à merveille, faisait des armes, et jouait fort habilement du couteau. Ajoutez à ces connaissances l’hébreu, qu’elle lisait dans le texte, et la théologie. Enfin, de mœurs libres, elle eut, comme ses ancêtres des cours de Mantoue ou de Forli, des intrigues célèbres ; elle les vivait avec un parfait cynisme et un complet mépris de l’opinion publique.

On sait que la princesse Belgiojoso, patriote ardente, a été un des apôtres les plus agissans du Risorgimento italien. En 1831, Metternich la trouvant encombrante, sinon dangereuse, l’exila et confisqua ses biens. C’est alors qu’elle vint habiter la France. Son séjour à Paris, ses relations dans le monde des lettres, ses excentricités, sont connus ; les Mémoires et les livres du temps ont révélé sa vie mondaine et même ses amours, qui furent bruyantes. On a moins parlé de sa vie politique et de ses rapports avec les sectes nombreuses qui, alors, naissaient à chaque manifestation d’un gouvernement oppressif et détesté. Les rapports de police que le prince de Metternich se faisait adresser par les espions qu’il adjoignait à la princesse, témoignent de l’importance qu’il attribuait, quoiqu’il en eût, aux intrigues de cette belle patriote, et aussi de l’influence qu’il lui prêtait sur une société pleine d’aspirations généreuses, vers une Italie libérée et renaissante.

En France, personne encore n’a raconté tout au long l’histoire de la princesse Belgiojoso. Elle a trouvé en Italie son historien en la personne de M. Raffaelo Barbiera, qui a publié sur elle, naguère, un livre très complet où abondent les documens curieux. En Angleterre aussi, M. Bemsen Whitehouse lui a consacré un important ouvrage. Sans doute, en France, son heure n’est-elle pas venue. Pourtant, cette ennemie de l’Autriche allemande, traquée, suivie, espionnée, vendue, et malgré cela toujours active dans sa haine, est une figure attachante et qui prend, dans les événemens actuels, un intérêt nouveau.

Mais en pénétrant sa vie, inséparable de celle de l’Italie opprimée, on se demande comment ce pays, après avoir enduré de pareilles souffrances, a pu faire un jour alliance avec son bourreau d’autrefois. Il semble que de telles blessures faites au