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peine ; nous finissions par nous disputer et la queue du gril et la place au fourneau, » et se récriant sur le manque d’obéissance de son vieil ami, elle se plaignait à lui « du grave inconvénient d’avoir pour marmiton le Héros des deux Mondes[1]. »

Ces petites mises en scène visaient sans doute à l’effet, comme l’affirmait Mme d’Agoult, qui la connaissait bien ; c’est la « Theatralita della Vita, » c’est la part aussi du Romantisme — et de la jeunesse ; n’oublions pas que cette proscrite a vingt-trois ans à peine.

Cependant elle est venue en France pour servir la cause de son pays, car elle a fait de l’affranchissement de l’Italie le but de son existence, et elle a quelque espoir que la France nouvelle, qui a adopté la cause des Polonais, adoptera aussi la sienne. À cette France qui s’enflamme si bien pour toutes les libertés entrevues, elle veut faire connaître le malheur de ses compatriotes asservis, montrer la grandeur de leurs énergies et de leurs espoirs… Elle veut aussi gagner l’appui du gouvernement de Louis-Philippe, quelle naïveté ! Louis-Philippe protégeant la Carbonaria, quelle invraisemblance ! D’ailleurs le Roi est un non-interventionniste qui a d’autres soucis, il a besoin de l’Autriche[2], et, si le ministère Laffitte, peut-être sous la pression de La Fayette, a paru au début favoriser la cause italienne, Casimir Perier éteindra ces incendies : il ne faut pas créer de difficultés à l’extérieurI Cependant les efforts de notre princesse n’ont pas été vains. Plus que tout autre, elle a servi son pays en préparant les voies. Sa maison fut un centre que les réfugiés politiques, ses compatriotes, utilisèrent, où ils furent accueillis et aidés, où ils se trouvèrent en contact avec les hommes d’Etat de notre pays.

  1. Lettre à Mme Caroline Jaubert. [Le National, septembre 1850.)
  2. Pendant que Louis-Philippe s’applique à ménager l’Autriche, Metternich est tout près de faire cause commune avec la Russie contre la France, — et, à défaut de cette combinaison, à tenter le rétablissement de la dynastie napoléonienne. Voici ce que je relève sur les Rapports journaliers de la Préfecture de Police. Bulletin de Paris. Paris, le 5 novembre 1831 : « Dans la journée d’hier, les secrétaires (de l’ambassade d’Autriche) ont presque constamment travaillé avec M. le comte d’Appony. Ils ont dit que l’empereur de Russie poussait l’empereur d’Autriche à rompre avec la France, mais que l’empereur de Russie ne savait pas que, s’il y avait des troubles sérieux en France, l’empereur d’Autriche ferait valoir les droits de Napoléon II, qu’il y avait eu déjà plusieurs conseils chez le prince de Metternich, où ce plan avait été discuté. » (Archives Nationales, f. 1, 3885.)