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collabora à maints journaux français et étrangers, sans compter ceux qu’elle dirigea et transforma sans cesse pour échapper à la vigilante police.

Mme Adam a écrit : « La princesse Belgiojoso ensorcelait Buloz et faisait la propagande la plus active à la Revue des Deux Mondes. » Pour ce qui est de la propagande, je crois la remarque exacte : elle en faisait jusque dans les couloirs de la Chambre, où elle haranguait les députés, elle devait en faire à la Revue. D’ailleurs F. Buloz s’est toujours intéressé à la cause italienne ; plus tard, il en donna maintes preuves à Cavour, qui était son ami ; quand à l’ensorcellement, je pense que George Sand fut seule à exercer sur François Buloz une influence qui mérite ce nom.

En 1847, notre princesse habitait rue du Mont-Parnasse un hôtel entouré d’arbres. Une porte majestueuse en fer forgé la séparait du reste du monde. Un grand jardin était là, plein d’herbe, de désordre et d’ombre. Sur la pelouse paissaient des chèvres blanches que la petite Marie poursuivait. Devant la porte de la maison, quand l’air était doux et le soleil chaud, Augustin Thierry s’asseyait sur un grand fauteuil ; il avait loué un pavillon dans le jardin de la princesse, qui l’entourait de soins et d’affection. Ainsi sa nuit était moins noire.

Terenzio Mamiani disait que « lorsque la princesse adressait à Augustin Thierry quelque affectueuse parole, des larmes abondantes coulaient de ses paupières closes : Scorvano dalle chiuse palpebere, di lui lacrime cosi abbondanti.

On ne peut nier à cette femme, si fantasque parfois, l’affection fidèle et dévouée qu’elle a donnée à ses amis.

La Fayette, depuis 1834, était mort, mais elle ne l’avait pas oublié. Elle écrivait en 1845 à un rédacteur de l’Époque : « Non, monsieur, je n’ai rien oublié de tout ce qui se rapporte au digne et paternel ami auprès duquel je vous ai vu. Je vous remercie du souvenir que vous avez gardé de moi, et il me semble naturel que ces souvenirs se maintiennent parmi les personnes qu’un lien commun d’amitié et de respect attachait au général La Fayette[1]. » Pas plus que celle qui l’unissait à Heine, l’amitié qu’elle avait vouée à Augustin Thierry ne s’est amoindrie avec les années ; lorsqu’ils étaient séparés, ils s’écrivaient avec

  1. Lettre inédite.