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L’EMPEREUR GUILLAUME[1]


I

Qui n’a pas eu, dans ces dernières années, l’occasion d’approcher l’empereur Guillaume, d’avoir quelque entretien avec lui, ne peut se rendre compte de la première impression favorable qu’éprouve son auditeur. Causer avec lui, c’est l’écouter, c’est le laisser développer avec chaleur ses idées, en risquant de temps en temps une observation dont la vivacité de son esprit s’empare immédiatement pour passer d’un sujet à un autre. En parlant, il vous regarde bien en face, la main gauche toujours appuyée sur la poignée de son sabre dans une attitude qui lui est familière. La voix très gutturale, presque enrouée, n’est pas agréable, mais la figure, mobile et expressive, est tout animée, tout éclairée par des yeux magnifiques. Ce sont ces yeux qui frappent au premier moment mieux que les paroles, des yeux bleu clair, tantôt gais et rieurs, tantôt durs et sévères, avec des lueurs pareilles à des reflets d’acier. Cependant, au sortir d’un entretien de ce genre, on se prend à douter de la sincérité de ce dangereux causeur. On se demande avec une certaine anxiété si l’on n’a pas eu devant soi, au lieu d’un homme convaincu, l’acteur le plus impressionnant qui ait paru sur la scène politique contemporaine.

  1. M. le baron Beyens, qui était depuis plusieurs années ministre de Belgique à Berlin au moment de la déclaration de guerre, a entrepris un travail sur les hommes et les choses d’Allemagne qu’il a été bien à même de voir et de juger. Il débute par les portraits de l’Empereur, de l’Impératrice, du Kronprinz, du chancelier de Bethmann-Hollweg, etc. Nous donnerons à nos lecteurs les principales parties de cette étude où le baron Beyens, se dégageant des impressions du jour autant qu’il est possible de le faire à un Belge ou à un Français, s’élève dans ses jugemens à la hauteur de l’histoire.