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quarante-quatre ans que, meurtrie, humiliée, mutilée, déchue de son rang de première Puissance, la France ne tenait plus, dans les conseils de l’Europe, le fier et généreux langage qu’elle tenait jadis, le monde a pu s’apercevoir que la moralité internationale avait singulièrement baissé, et que les grandes causes idéalistes ne trouvaient plus guère de champion. Après quarante-quatre ans écoulés, l’occasion s’est offerte pour elle de donner toute sa vraie mesure, de ressaisir, avec son ancien prestige, le rang qu’une défaite accidentelle lui avait fait perdre, de reconquérir la pleine liberté de sa mission civilisatrice. La France a répondu virilement à l’appel de la destinée. Elle a accepté le pari que la Providence lui proposait. Elle l’a déjà plus d’à moitié gagné. Aidée de ses puissans et généreux alliés, elle achèvera, tout en se délivrant elle-même, de libérer l’univers du joug odieux et brutal qui pesait sur lui. Dans cette humanité qui, depuis un demi-siècle, n’était que le règne de la force, elle s’efforcera, suivant sa tradition séculaire, de faire régner un peu plus de justice. Elle dépouillera cette mentalité de vaincue qui était la vraie cause de toutes ses discordes civiles : l’union sacrée, qui a fait sa force devant l’ennemi, devra survivre à la victoire. Une France agrandie, une France respectée, une France unanime dans une Europe purifiée et pacifique, ô vous, jeunes gens qui êtes aujourd’hui couchés dans les plaines de la Marne, de l’Alsace ou des Flandres, c’est pour cette grande œuvre réparatrice que vous avez donné héroïquement votre vie. Ce spectacle que vous ne verrez pas, nous voulons l’offrir longtemps au monde. Nous ne serions pas dignes de vous, si de nos propres mains désormais nous nous déchirions nous-mêmes. Nous n’aurions pas dû accepter votre sacrifice, si nous étions résolus à le rendre inutile par l’obstination de nos vieilles, de nos absurdes querelles. Mais non, votre sang n’aura pas coulé en vain. Nous avons compris l’austère leçon qui se dégage de vos tombes si fraternellement unies. Nous continuerons, nous achèverons votre œuvre. Si, en dépit des deuils, des misères et des ruines, nous sommes fiers d’avoir vécu les heures que nous venons de vivre, c’est que nous sommes sûrs que la France victorieuse saura prolonger le miracle français.


VICTOR GIRAUD.