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à son influence que le ministre des Affaires étrangères avait dû d’être nommé dans le VIIIe arrondissement de Paris.

Ces faits, dont la véracité ne fut pas contestée et ne pouvait l’être, étaient décisifs et attestaient celle de mon récit. Mais il semble bien qu’en 1879 ils étaient oubliés. Quant à la crise elle-même, alors que la presse allemande s’évertuait à démontrer qu’elle n’avait existé que dans l’imagination fantaisiste du narrateur, la presse britannique et notamment le Times et la Revue d’Edimbourg en affirmaient la réalité. Les journaux aux gages du prince de Bismarck cessèrent bientôt, par ordre, leurs dénégations, et le silence imposé à ses reptiles par le chancelier parut vouer ces incidens à l’oubli. Mais, quelques années plus tard, ils étaient subitement remis en lumière par la publication des papiers du général Le Flô, notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg au moment de la crise, et de ceux du regretté Charles Gavard qui, à la même époque, représentait la France à Londres comme chargé d’affaires. Ces documens aussi précieux que révélateurs, tout en confirmant mon premier récit, me permirent de le compléter et de le rendre à peu près définitif[1].

Depuis cette époque, les souvenirs du vicomte de Gontaut-Biron sur son ambassade à Berlin, livrés à la publicité par ses héritiers après avoir été l’objet d’une étude du duc de Broglie, les mémoires du prince de Hohenlohe et quelques pages insérées par M. Gabriel Hanotaux dans son Histoire de la France contemporaine, sans rien ajouter d’inédit à ma relation, l’ont confirmée de tous points et ont achevé de démontrer que la crise de 1875 s’était bien déroulée telle que je l’avais racontée. Il était donc vrai qu’en 1875, nous avions été à deux doigts de la guerre. Mais, comme le pays n’en avait acquis la certitude que longtemps après, la crise ne lui parut pas aussi grave qu’elle l’avait été et, ainsi que je l’ai dit en commençant, elle entra promptement dans le domaine des choses dont on ne parle plus. J’ai maintes fois constaté depuis que c’est seulement dans les milieux diplomatiques que le souvenir n’en était pas entièrement effacé.

Si j’ai jugé opportun de le rappeler aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce que la guerre de 1914 lui a rendu son actualité, c’est aussi parce qu’il nous fournit la preuve que, dès le lendemain de nos revers, à l’aube de cette période de quarante

  1. Voyez mon Histoire de l’Alliance franco-russe, Paris, Ottendoff, 1894.