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probabilité de la victoire sur la France, c’est parce qu’il a craint que les Puissances qui ne l’avaient pas secourue en 1870, cette fois ne restassent pas neutres : « Convaincu qu’il y a pour la Russie, notamment, une limite au-delà de laquelle elle ne permettra pas qu’on diminue l’influence de la France, il croit que cette limite a été atteinte par le traité de Francfort. » Il pense même qu’en Russie, « on se demande si, en 1870, on a eu raison de ne pas intervenir. »

Il est d’ailleurs assez difficile, à cette époque, de savoir exactement ce qu’il veut et ce qu’il ne veut pas, tant ses propos sont souvent contradictoires. Mais ce qu’ils expriment surtout, c’est la crainte que les Français ne se relèvent avec trop de rapidité. Dans son langage comme dans ses actes, il apparaîtra qu’il s’est donné pour but principal de les empêcher de se relever. Cette crainte se trahit surtout dans la multiplicité des exigences qu’il oppose au désir du gouvernement français de libérer le pays par anticipation de la présence des armées allemandes qui doivent y rester, tant que l’indemnité de guerre ne sera pas payée. Peut-être se demande-t-il s’il est plus profitable à l’Allemagne de toucher immédiatement le total de l’indemnité que doit lui payer le vaincu que de rester sur le territoire qu’elle détient à titre de garantie, puisque, en y restant, elle mettrait obstacle à son trop rapide relèvement.

Les cinq milliards encaissés, il ne désarme pas ; il entre dans la voie des procès de tendance : « Nous voulons la paix, affirme-t-il, mais si les Français poussent leurs arméniens de façon à être prêts dans cinq ans et qu’ils soient résolus à nous attaquer au bout de ce temps, nous leur déclarerons la guerre dans trois ans. » Ce propos est tenu au commencement de 1874, alors que le gouvernement français multiplie les preuves les plus éclatantes de son désir de paix. Sur la sourde irritation dont le chancelier est animé et sur ses desseins futurs, les aveux écrits par le prince de Hohenlohe, au moment où il va partir pour Paris en qualité d’ambassadeur d’Allemagne, jettent une lumière révélatrice :

« Il est évident, écrit-il, que Bismarck ne veut pas que la France se consolide, parce qu’en se consolidant, elle trouverait plus facilement des alliés. Il ne croit pas que Thiers en eût trouvé, et le reproche qu’il fait à Arnim, c’est de n’avoir pas empêché son renversement ou, tout au moins, de ne l’avoir pas