Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/915

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il savait par cette voie que le chancelier, alléguant que la France cherchait une revanche, voulait la prévenir :

— Récemment, avait dit ce haut fonctionnaire, il a songé à vous forcer à prendre la moitié de la Belgique et à entrer dans une ligue contre la Papauté. Aujourd’hui, il entend vous interdire de vous réorganiser militairement. Il laisse la Russie libre en Orient, et comme, seule, elle pourrait s’interposer entre lui et vous, il a tenté de la désintéresser.

C’est ainsi que le gouvernement français voyait se confirmer ses soupçons sur le caractère et le but du voyage en Russie du comte de Radowitz.- Il est vrai qu’on n’ignorait plus que ce diplomate avait échoué dans sa mission. A Vienne, le comte Andrassy, chef du gouvernement, l’avait annoncé au comte d’Harcourt, ambassadeur de France, et l’information avait été confirmée par les paroles suivantes du chancelier russe répétées à Paris :

— J’en suis encore à me demander pourquoi on m’a envoyé Radowitz. Je n’y comprends rien. En tout cas, il a pu constater que non seulement la Russie ne fera pas la guerre, mais encore qu’elle s’y opposera.

Des informations non moins rassurantes étaient arrivées de Londres. Lord Derby avait dit au chargé d’affaires de France qu’il ne pouvait croire que Bismarck eût formé le dessein d’attaquer la France.

— Une semblable agression soulèverait une réprobation générale. Le gouvernement anglais ne manquera pas à son devoir. Je vous donne à cet égard toutes les assurances que peut donner un ministre constitutionnel. J’ai déclaré au comte de Munster que je ne pouvais prendre au sérieux les rumeurs qui circulent au sujet des prétendues intentions de l’Allemagne. On n’a rien à reprocher à la France, et les raisons qu’on invoque contre elle sont un prétexte, car on ne saurait contester la sagesse de votre gouvernement. M. de Bismarck n’a pas d’intérêt a entretenir en Europe les alarmes auxquelles elle est livrée.


III

Ces incidens si gros de menaces s’étaient déroulés sans que l’ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, le général Le Flô, eût pu les connaître ; il était alors en congé. C’est seulement au