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surtout de son parti pris de rendre difficiles ses relations avec l’ambassadeur dont il avait hâte de se débarrasser, afin d’éloigner de l’Empereur une influence qui peut-être eut contrarié ses desseins et qu’il accusait bien à tort de lui être hostile.

En ces circonstances, il se révèle de nouveau comme un homme tout à la fois habile et mobile dans la conception de ses desseins, mais impulsif quant aux moyens de les exécuter et, par suite de son impulsivité, capable de toutes les perfidies, quand les circonstances les lui suggèrent et s’il n’a pas eu le temps d’y réfléchir. Il est toujours le personnage sans scrupules qui a falsifié la dépêche d’Ems et qui depuis, lorsqu’il s’est trouvé en présence de difficultés intérieures, a cherché à les résoudre en ameutant l’Allemagne contre la France à l’aide de soupçons calomnieux. C’est ainsi, par exemple, qu’au lendemain du Congrès de Berlin, la presse allemande dénonce tout à coup, non sans véhémence, l’attitude agressive de la France et de la Russie. L’opinion s’émeut notamment d’un article où les prétendues preuves de cette attitude sont énumérées. Comme on en parle chez le chancelier, il se met à rire et avoue que c’est lui qui a écrit l’article en question pour influencer le Reichstag et l’amener à voter la loi militaire, qui rencontre dans l’assemblée une assez vive opposition.

À ce moment, deux ans s’étaient écoulés depuis que le comte de Gontaut n’était plus ambassadeur à Berlin. Il y avait été remplacé par le comte de Saint-Vallier, dont un long séjour auprès de Manteuffel pendant la période d’occupation avait fait apprécier les qualités éminentes. À dater de ce moment, l’humeur malveillante du chancelier s’était apaisée, et si parfois encore il affectait une mine grondeuse, c’était toujours pure comédie : son hostilité contre la France faisait trêve.

C’était qu’aussi les affaires de l’Europe étaient bien faites pour absorber son attention. A Paris, la chute du gouvernement de Droite et la démission du duc Decazes en 1877 avaient eu pour résultat un changement caractéristique dans l’orientation de la politique française. L’idée de l’alliance russe semblait abandonnée. Lorsque, au Congrès de Berlin, les stipulations du traité de San Stefano par lequel s’était dénouée la guerre russo-turque avaient été remises en question en ce qui concernait la Bulgarie, le gouvernement français avait figuré à côté de l’Allemagne.