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la plume, sous l’impression du premier moment, n’ont pas toutes le même intérêt ; mais toutes sont pleines de naturel, de sincérité évidente et de vie. Elles nous donnent sur l’existence de la famille impériale dans l’exil des détails qu’on ne trouve pas ailleurs, et peut-être aucun autre document n’aide-t-il mieux à comprendre, en remontant aux origines, le caractère si complexe de l’empereur Napoléon III. Ce caractère, a dit Renan, « est un problème sur lequel, même quand on possédera des données que personne maintenant ne peut avoir, on fera bien de s’exprimer avec beaucoup de précautions. Il y aura peu de sujets historiques où il sera plus important d’user de retouches, et, si dans cinquante ans il n’y a pas un critique aussi profond que M. Sainte-Beuve, aussi consciencieux, aussi attentif à ne pas effacer les contradictions et à les expliquer, l’empereur Napoléon III ne sera jamais bien jugé. » Le jugement définitif n’est pas encore porté, qui sait s’il le sera jamais ? Y a-t-il aujourd’hui un Sainte-Beuve ? En tout cas, les documens commencent à venir et le Journal de Mlle Masuyer est un des plus précieux. On y voit comment s’est formé le futur empereur, ou plutôt, car il a été dès sa jeunesse le même que plus tard, comment il a évolué au milieu des conspirations italiennes, — ce qui explique bien des choses d’avenir, — puis des conspirations françaises, avec un singulier mélange de républicanisme et d’impérialisme, comme si un instinct secret l’avertissait dès ce moment qu’il devrait passer par la République pour aboutir à l’Empire. Au reste, cette confusion de principes, où il voyait plus clair et, en tout cas, s’est dirigé plus habilement que d’autres, n’était pas son fait exclusif : toute une fraction du parti révolutionnaire français y participait aveuglément. Ajoutons que le prince Louis exerçait, par les côtés affectueux de sa nature, un attrait déjà grand sur ceux qui l’approchaient.

On comprend que Patrice Manon, à mesure qu’il avançait dans le dépouillement du journal touffu de Mlle Masuyer, ait été séduit davantage par l’intérêt du sujet. Il y trouvait les élémens d’une étude psychologique très attachante, et peut-être l’aurait-il écrite plus tard au profit de l’histoire. Mais la mort ne l’a pas permis et nous devons nous borner à continuer la publication qu’il avait préparée.


Londres, 13 mai 1831.

Les voyageurs pour l’Angleterre sont si rares qu’on se les arrache ; on courait après nous pour des auberges, pour un paquebot, et on nous prenait pour des Anglaises. Le Prince faisait l’interprète tant bien que mal et s’impatientait de n’être