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s’y efforce dans sa province de Cilicie (il semble, du reste, n’y avoir pas totalement échoué : sa campagne contre les montagnards de l’Amanus a été conduite avec autant de décision que d’habileté) ; bref, il rêve de joindre, pour parler le langage des anciens, la couronne de lauriers à la couronne civique. — On voit assez qu’il ne faut en faire ni un panégyriste quand même, ni un détracteur de parti pris, de l’art militaire : les conquêtes et les triomphes, dont s’alimente l’orgueil romain, ne sont pas tout pour lui, il s’en faut, mais il s’en faut aussi qu’ils ne soient rien.

Mêmes variations, au gré des dates et des occasions changeantes, dans ses sentimens à l’égard des populations vaincues. Quelquefois il en parle avec dureté ou avec une ironie plus insultante que la dureté, et quelquefois, plus souvent même, avec courtoisie et bienveillance. Lorsqu’il plaide pour des gouverneurs de provinces accusés de concussions par leurs administrés, il est bien obligé de discréditer le plus possible l’autorité morale des accusateurs, et les préjugés du peuple romain contre les étrangers lui en fournissent un moyen facile. Par exemple, si les Gaulois ont déposé contre Fonteius, ou les Grecs contre Valerius Flaccus, pour sauver ses cliens, Cicéron rappellera le peu de poids que doivent avoir de pareils témoignages : les Gaulois ne sont-ils pas des fanfarons arrogans et brutaux, les Grecs des bavards étourdis et menteurs ? Ces caricatures conventionnelles des races exotiques sont de trop riches mines d’argumens et de plaisanteries pour qu’un tel avocat se les refuse. De même, vers la fin de sa carrière, lorsqu’il voit César appeler au Sénat des Gaulois ou des Espagnols, sa rancune d’aristocrate vaincu s’unit à son amour-propre national pour lui faire considérer cette mesure comme une catastrophe, et pour lui dicter, contre les Pères Conscrits ainsi fabriqués, des sarcasmes sanglans. — Mais, dans le cours ordinaire de la vie, il est accueillant pour les étrangers : il descend volontiers chez eux, et les reçoit non moins volontiers dans ses belles villas ; il leur adresse des lettres aussi soignées que celles qu’il envoie aux plus nobles Romains, et aussi amicales ; il plaide sans répugnance pour eux, pour le Grec Archias, l’Espagnol Balbus, ou le tétrarque de Galatie Déjotarus ; et, en rapprochant-des textes épars à travers son œuvre innombrable, on pourrait tout aussi bien composer un panégyrique qu’une satire de la plupart des