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et l’affaire s’apaise aussitôt. Un malheureux surveillant, coupable d’avoir deviné trop juste, fut même, dit-on, puni de sa clairvoyance, tandis que le châtiment épargnait celui qui l’avait mérité.

Ces faveurs, si manifestement excessives, auraient pu rendre tout à fait insupportable un adolescent qui connaissait ses moyens et n’était pas tenté de les négliger. Il n’en fut rien, mais il s’en fallut de peu. Ne dit-on pas encore qu’Edmond About, un jour, s’élança, le canif ouvert, contre un de ses camarades qui le plaisantait, lui et la situation privilégiée qui lui était faite ? Mais si le sang était impétueux et l’humeur combative, le caractère ne manquait ni de bon sens, ni de bonté, une bonté spontanée et sincère, sinon très soutenue et durable. Ce petit potentat scolaire demeurait un aimable compagnon, un peu fat, un peu protecteur, mais sympathique et dévoué, et ceux qui le connurent alors sont unanimes sur ce point. Ils s’étonnent, en somme, que toutes ces circonstances n’aient pas gâté Edmond About, ce qui se fût produit avec un collégien moins judicieux. Car il n’avait pas la candeur de son âge et dans le présent et ses devoirs il voyait surtout le temps à venir, tel qu’il se le promettait. C’était déjà le travers de son esprit, instable, impatient, capricieux. Dans son amour de l’étude et des lettres entrait, semble-t-il, le sentiment de l’avantage qu’il en pouvait tirer, et c’est là sans doute ce qui distinguait le plus Edmond About de ses jeunes camarades, assez naïfs pour se contenter de leurs triomphes scolaires et pour y voir un gage assuré de succès dans la vie.

Sans illusion comme sans faiblesse, le jeune lauréat travaillait donc avec une énergie, non pas égale, ni sans à-coups, mais sûre d’elle-même, de ses efforts, de son but. Et la victoire, qui aime les volontaires, couronna régulièrement le labeur de celui-ci jusqu’en 1848. Edmond About terminait alors ses études secondaires, et, pour les bien finir, remportait le prix d’honneur de philosophie au concours général, avec Taine comme second, et, parmi les accessits, Francisque Sarcey, François-Victor Hugo, Ernest Hello. Ces concurrens n’étaient pas négligeables et le succès n’en valait que mieux. Il était escompté, malgré la présence de Taine, car celui-ci n’avait pas encore affirmé sa supériorité. Sarcey, déjà dévoué, commençait à marcher dans ! es traces de celui qu’il ne devait jamais abandonner, et il