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avaient obtenu, au cours des âges, le privilège de juger en dernier ressort presque tous les litiges entre simples particuliers, et l’on peut penser qu’ils n’y tenaient pas médiocrement.

Quant aux tribunaux des domaines propres de la maison d’Autriche, ils étaient formellement exemptés depuis Charles-Quint de tout appel devant l’Empereur ou les Chambres impériales, et Colbert de Croissy, dans son grand Rapport au Roi sur la situation de l’Alsace (1663) [1], cite les termes mêmes de l’Édit de Charles-Quint du 8 septembre 1530 à Augsbourg : a sententiis in Austriacorum curiis latis nec ad imperatores nec ad cameram datur provocatio. « En conséquence desdits privilèges, continue Colbert de Croissy, les princes de la maison d’Autriche établirent, en l’année 1623, une Chambre souveraine appelée Régence, dans la ville d’Ensisheim, qui est la capitale de la Haute-Alsace, laquelle Régence était composée du gouverneur de la province qui présidait, du chancelier, trois gentilshommes, trois docteurs en droit, un procureur général, un greffier appelé secrétaire et de quelques bas officiers ; et cette justice jugeait souverainement toutes matières civiles et criminelles, excepté néanmoins que l’on pouvait quelquefois se pourvoir par révision à la Chambre d’Insprück. »

Quand la monarchie française annexait une nouvelle province, son premier soin était d’y créer un Parlement, dont la souveraineté judiciaire était un des meilleurs agens de pénétration de la souveraineté royale. L’idée qu’il en irait de même en Alsace était si naturelle que, dès 1646, au moment où étaient discutées les conditions de la cession éventuelle du pays, une protestation préventive avait été formulée par les États immédiats de cette province contre la création « d’un nouveau Parlement, institution inusitée jusqu’ici en Allemagne ». Aucune trace de cette protestation, ni aucune promesse d’en tenir compte, ne figurent dans le traité définitif. La France n’avait pas voulu se lier les mains. Mais elle ne voulait pas non plus se créer des difficultés à plaisir en heurtant de face les habitudes, les droits et même les préjugés des populations nouvellement annexées. Il y a des résistances qu’une bonne politique évite de soulever. « Il est fâcheux, dit à ce propos un mémoire anonyme confidentiel, de ne demander pas ce qui est dû, et de

  1. Un Mémoire de l’intendant Colbert sur l’Alsace, publié par Ch. Pfister (Belfort, 1895).