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aujourd’hui (et c’est ce que M. G. Hanotaux a nettement marqué dans son Histoire de la France contemporaine), que, tout en affectant de ne pas se soucier de l’Orient et de s’en désintéresser, le prince de Bismarck cependant, comme malgré lui, et par un obscur instinct, a ouvert les portes de l’Orient à l’Allemagne autant et plus qu’à l’Autriche-Hongrie, et que déjà il a placé son pays sur la route qui devait mener Guillaume II à Constantinople. — Il est vrai qu’en même temps, et prévoyant la brèche que ferait dans sa politique le mécontentement, puis le détachement de la Russie, le prince de Bismarck s’efforça aussitôt d’y pourvoir en rattachant plus étroitement à l’Allemagne d’abord l’Autriche-Hongrie, puis l’Italie, et en mettant autant que possible dans son jeu la Grande-Bretagne, que hantait encore la vision du péril russe, la menace des héritiers de Pierre le Grand sur Constantinople et l’Asie.

C’est du Congrès de Berlin qu’est née la Double-Alliance conclue dès l’année suivante (15 octobre 1879) entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, et devenue, trois ans après, la Triple-Alliance par l’accession de l’Italie (20 mai 1882). — Là est la maîtresse pièce, le chef-d’œuvre de la politique bismarckienne qui a su faire de l’Autriche-Hongrie et de l’Italie, c’est-à-dire du vaincu et du bénéficiaire de Sadowa, les deux boulevards de l’Empire d’où François-Joseph avait été exclu en 1866. —. L’habileté du prince de Bismarck se montra plus consommée encore en réussissant à faire accepter de la Russie un traité de contre-garantie qui la leurra et la contint pendant près de dix ans et en intéressant la Grande-Bretagne au succès d’une politique qui maintenait en Europe le statu quo de 1870 et de 1878. — Ainsi s’asseyait, se consolidait l’hégémonie du nouvel Empire.

Quelques hommes d’Etat français, celui surtout qui exerçait alors la plus grande influence, avaient d’abord hésité à accepter l’invitation faite à la France de participer au Congrès de Berlin. La France s’y montra désintéressée, digne d’elle-même, de ses traditions comme de son avenir. Elle maintint les droits et le rôle qui lui appartenaient en Orient, seconda les revendications des nationalités grecque, bulgare, monténégrine et serbe, réclama l’application en Roumanie de la tolérance religieuse, et, si elle entrevit les difficultés et les crises qui devaient sortir du traité signé par les Puissances, ne pouvait, certes, en