Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sujet d’inquiétude. La libre et indépendante action de l’Italie dans la Méditerranée orientale, la défaite de la Turquie, la victoire écrasante des alliés balkaniques, étaient de graves échecs à ses propres plans et programmes, au rêve de maîtrise et de domination qu’il avait formé avec l’Autriche-Hongrie et la Turquie elle-même, que dès lors il considérait et traitait comme une alliée. La Triple-Entente qui avait vainement essayé de sauver la Turquie en obtenant d’elle des réformes réelles et sincères, et qui, d’autre part, n’ayant pas été écoutée, n’avait plus désormais qu’à seconder les divers États balkaniques dans la réorganisation de la péninsule, reprenait ainsi dans tout l’Orient l’influence et le rôle dont les Puissances germaniques s’étaient efforcées de la dépouiller. — L’Allemagne, elle, n’avait plus seulement à lutter contre cette influence reconquise. Elle avait à réparer la brèche, à combler la lacune qu’ouvraient dans sa politique et de même dans ses plans et préparatifs militaires la faillite de la Turquie et la nécessité pour l’Autriche-Hongrie de faire face, sur ses frontières méridionales, à un nouveau front. La question d’Orient se transformait et se transposait : l’Autriche-Hongrie y devenait, plus tôt que l’Allemagne ne l’avait pensé, une autre Turquie. Force était d’aviser et de prévoir.

C’est alors que l’Allemagne, pour couvrir le nouveau front et y rajuster toute son armature, fait adopter par son Parlement les deux lois militaires de 1912 et de 1913, s’ouvre dans l’Empire un crédit de guerre d’un milliard et demi de marks et arme en hâte l’Autriche, la Hongrie, la Turquie. L’état-major allemand s’applique à galvaniser les armées austro-hongroises et à refaire une armée turque dont les chefs sont empruntés aux cadres de Berlin. D’autre part, l’Allemagne négocie. Elle et son alliée s’ingénient tout d’abord, et elles y réussissent, à troubler et séparer, après la victoire, les alliés balkaniques qui viennent de triompher sur les champs de bataille de la Macédoine et de la Thrace. Puis elles s’attachent à prolonger, soit à la Conférence des ambassadeurs de Londres, soit de cabinet à cabinet, la négociation d’une paix qui, péniblement signée à Bucarest, laisse derrière elle, non-seulement des points non réglés, mais des rancœurs et le germe de difficultés nouvelles.

L’Allemagne croit, en tout cas, avoir paré au plus pressé. Elle pense avoir dans la Turquie, dans l’un au moins des Etals balkaniques, et peut-être dans quelques autres, des instrumens