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constituait un manquement éhonté aux traités que nous observons scrupuleusement et qu’il ne lui restait qu’à se faire petite et à essayer de faire oublier et pardonner sa petite félonie. Les italiens ont oublié tout cela et se préparent maintenant à se retourner contre nous. Heureusement que ce nouvel ennemi ne peut pas nous faire peur. Quelques divisions de Bavarois, jointes aux chasseurs tyroliens impériaux, seront suffisantes pour faire tourner le dos à la prétendue armée italienne, à enfoncer la porte de Vérone, à reconduire à Milan tous nos compatriotes expulsés et à leur confier l’organisation militaire et scientifique de ce malheureux pays. » Nous tremblons pour l’Italie de se voir, en punition de ses méfaits, infliger la mécanisation scientifique de la culture allemande ! En attendant, on traite son armée comme on a traité la « méprisable petite armée du maréchal French. » Il est toujours dangereux de faire fi d’un adversaire ; mais l’Allemagne fait-elle tellement fi de l’Italie ? Alors, qui nous expliquera le mal qu’elle s’est donné pour l’empêcher de sortir de la neutralité et pour obliger l’Autriche à lui faire des concessions ?

Un ennemi de plus, sans compter ceux qui viendront ensuite, cela laisse-t-il vraiment l’Allemagne indifférente ? En vérité, on pourrait le croire en voyant l’aberration avec laquelle elle semble s’appliquer à provoquer contre elle, dans le monde entier, un surcroît d’indignation et d’horreur. Le désastre du Lusitania dépasse, au moins en proportions, tout ce que les sous-marins allemands avaient fait jusqu’ici. Ils n’avaient en somme coulé que des bateaux de commerce d’importance secondaire, tandis qu’ils se sont adressés cette fois à un des plus grands paquebots transatlantiques qui existent, portant des passagers de toutes nationalités, avec un fort appoint d’Américains. La plus grande partie ont péri. Le naufrage a eu lieu près des côtes d’Irlande : il a été provoqué par une ou deux torpilles, lancées sans avertissement préalable, avec cette cruauté froide, implacable, impitoyable, dont les pirates allemands semblent se faire un mérite et dont la conscience du genre humain leur fait un crime et un déshonneur. Ce ne sont pas là, en effet, des actes de guerre. Encore lorsqu’un sous-marin détruit un navire de commerce portant une cargaison qui a une valeur marchande et peut être directement ou indirectement utilisable pour la guerre, à la rigueur on s’explique le fait sans l’excuser ; mais le Lusitania ne portait que des vies humaines, et c’est sans doute parce qu’elles étaient très nombreuses qu’il a été choisi pour servir de cible aux torpilles allemandes. Il ne sert à rien de dire que l’ambassade d’Allemagne aux Etats-Unis avait donné par la voie de la presse un