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basse. Commodément installés devant plusieurs tables, les sous-officiers, méticuleux, calligraphient. Leur comptabilité couvre des feuilles, des registres, des cahiers. Nous saluons enfin mon ami dans une chambre claire et large. Le portrait de sa fille orne la cheminée de campagne. Avec un sous-lieutenant, il travaille sur une table massive. Les manuels de tir, le téléphone, les cartes de la région s’y pressent.

Bien qu’il ait été blessé dans la nuit du 1er janvier, pour ses étrennes, G…, guéri, offre une mine superbe. Il a beaucoup rajeuni. Quadragénaire, il ne semble pas compter plus de vingt-huit ans. D’ailleurs, son nouveau métier enthousiasme cet ingénieur auparavant plus occupé de ses draguages dans les marais aurifères, en Guyane, et de la vie parisienne, de ses plaisirs, de sa littérature, de ses théâtres. Aujourd’hui, nulle de ces choses ne lui paraît importante. Les dragueurs mobilisés sont revenus de la Guyane où le travail cessa complètement. Eh bien, tant pis ! A la Bourse, pensant que la guerre n’éclaterait pas, le capitaliste avait pris une position que le cataclysme a bousculée. Qu’importe !

L’essentiel, c’est de nous expliquer comment le colonel indique, par téléphone, l’objectif et le moment de frapper ; comment, sur cette planchette où s’étale une sorte de rose des vents, toutes les directions possibles du tir indirect, dans le secteur, sont marquées, notées, chiffrées ; comment, par un bref calcul des angles, on règle l’inclinaison des quatre canons lourds dissimulés en deux fermes, en deux vergers lointains et distans les uns des autres ; comment, par téléphone, on prévient d’ici les chefs de pièce en leur désignant les nombres pour la correction, pour le débouchage de l’obus, etc. ; comment, les projectiles étant tombés, on écoute, au bout du fil, la voix de l’observateur juché dans un arbre, dans une maison en ruines, sur une crête. Témoin de la chute, de son effet, celui-ci dicte les rectifications utiles. Sa démonstration excite le lieutenant. Il a les gestes de l’écolier fiévreux en pleine émotion d’un jeu ardent. Il nous fait saisir la beauté, la grandeur de ces combats épars et multiples que dirige un réseau de pensées diverses en course par ces fils du télégraphe et du téléphone, allongés, sur la terre et sous la terre, d’arbre en arbre, le long des haies, dans les ruisseaux mêmes. L’esprit enveloppe ainsi de ses flux, vde ses reflux, la configuration de ce pays où