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contiennent la profession de foi des humbles durant cinq siècles. Mais ces vers ne prouvent qu’une chose, c’est que la mère de Villon, bien qu’illettrée, « povrette » et « ancienne, » savait distinguer l’Enfer du Paradis, — ce que l’on sait encore fort bien aujourd’hui. Ils ne prouvent pas qu’elle aurait lu, ici, couramment, l’histoire des sept maris de Sara, de la toison de Gédéon, ou la pêche de la plaque d’or à offrir au Temple du soleil.

Peut-être, aurait-elle compris mieux que nous l’ânesse de Balaam, à cause de la Fête de l’Ane, ou quelque autre drame biblique, parce que les acteurs des Mystères les jouaient sur les tréteaux. Mais cela prouverait alors en faveur du théâtre et non de la cathédrale, comme moyen d’instruction pour les illettrés. Si l’image avait été réellement le livre de ceux qui ne savaient pas lire, elle n’aurait pas contenu, en français et en latin, plus d’écriture qu’elle n’en a jamais contenu depuis. Si elle avait été comprise par la foule, nombre de légendes pieuses ne seraient pas sorties d’une fausse interprétation et d’un quiproquo des sujets figurés. Enfin, puisque la foule des fidèles n’a pas cessé d’aller à l’église, ni l’église de contenir ces sujets, les fidèles les connaîtraient aujourd’hui comme autrefois. Il faut en rabattre. En réalité, il n’y a jamais eu d’autre « livre du peuple, » autrefois comme aujourd’hui, que le théâtre. Les héros et les actions qui sont incarnés par des figures vivantes, devant la foule, sur la scène, entrent dans la mémoire populaire avec toutes les déformations que la légende ou l’auteur leur font subir : les autres sont comme s’ils n’étaient pas. Du jour où l’on a cessé de représenter, sur la scène, le Sacrifice d’Abraham ou la Fille de Jephté, le peuple n’y a plus rien compris à l’église. La statue ou le vitrail n’était que le répétiteur qui redisait la leçon enseignée sur les tréteaux. Ce n’est pas la cathédrale qui a été le « livre du peuple : » c’est l’Opéra.

L’Opéra ou le cinématographe ont d’autres objets en vue, maintenant, que Anne et Joachim chassés du Temple, ou David descendant par sa fenêtre. Ils les auraient encore si ces histoires touchaient profondément quelques fibres humaines en nous. Mais elles ne les touchent pas, et c’est la vraie raison de notre oubli. On reproche parfois au catholicisme de n’avoir point assez répandu la Bible, et l’on entend, par-là, l’Ancien Testament. Mais son effort pour le répandre a été immense : ces