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si nous avions envisagé, au cas d’une guerre européenne, l’éventualité d’une marche en avant de l’armée allemande, cherchant à se frayer un passage à travers la Belgique, et si nos moyens de résistance étaient suffisans.

En 1906, le lieutenant-colonel Barnardiston eut plusieurs entretiens avec le général Ducarne, chef de notre état-major, au sujet de la coopération d’une armée anglaise à la défense de notre territoire ; c’était au lendemain de la première alerte, causée par la politique, grosse de menaces, de l’Allemagne dans la question marocaine. Le général belge n’avait pas de motifs pour se refuser à ces conversations privées, strictement confidentielles et militairement intéressantes. Mais il n’avait pas non plus reçu le mandat de les poursuivre au nom du gouvernement du Roi. Il en adressa un rapport écrit à son chef, le ministre de la Guerre, après qu’elles eurent pris fin. Son travail contient en marge cette annotation capitale, omise à dessein car les autorités allemandes dans le texte du document, quand elles en ont publié l’automne dernier la traduction : « L’entrée des Anglais en Belgique ne se ferait qu’après la violation de notre neutralité par l’Allemagne. »

Le gouvernement belge ne laissa pas que d’être très surpris de l’initiative prise par l’attaché militaire anglais, mais il n’était pas en son pouvoir d’empêcher un officier étranger d’exprimer des craintes personnelles sur les intentions hostiles d’un gouvernement voisin et ami de la Belgique. Toujours confiant dans la garantie donnée depuis 1839 à notre neutralité par les Puissances, au nombre desquelles figurait la Prusse, c’est-à-dire aujourd’hui l’Allemagne, fille de l’Etat prussien et héritière de ses obligations, il résolut de laisser sans aucune suite les confidences du lieutenant-colonel Barnardiston. Celui-ci avait rapporté les idées de l’état-major anglais ; ses conversations, — il le reconnaissait lui-même, — ne pouvaient pas lier son gouvernement. Vous remarquerez que les officiers britanniques voyaient très clair dès cette époque, dans les projets de l’Allemagne. L’invasion de la Belgique a été un fait de guerre prévu à Londres depuis dix ans.

Quelques années après, en avril 1912, le lieutenant-colonel Bridges, autre attaché militaire anglais à Bruxelles, eut un entretien sur le même sujet avec le général Jungbluth, qui dirigeait alors notre état-major. Cette démarche prouverait, s’il en