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L’ESPAGNE ET LA GUERRE

Que de fois, depuis que l’on s’occupe en France de suivre les mouvemens de l’opinion chez les neutres, n’avons-nous pas entendu et n’entendons-nous pas encore cette question : « Savez-vous ce qui se passe en Espagne ? Est-il donc vrai que beaucoup d’Espagnols prennent parti contre les Alliés ? » Beaucoup est trop dire, mais il faut bien reconnaître qu’un certain nombre d’Espagnols manifestent à notre adresse et à l’adresse de l’Angleterre des sentimens peu affectueux. De là chez quelques Français, très fins lettrés, mais trop portés à croire que nos frères latins ne peuvent pas manquer de nous aimer comme nation, une émotion assez vive. Or, on ne s’aime guère de nation à nation. Entre individus appartenant à des pays différens peuvent se nouer, heureusement, des relations amicales ; mais de grandes agglomérations humaines, séparées par mille traits d’ordre physique, linguistique, moral, politique ou économique, se sentent rarement attirées en masse l’une vers l’autre.

On note volontiers chez l’Espagnol à la fois peu de satisfaction de l’état présent de son pays et une grande méfiance, une attitude ombrageuse à l’égard de l’étranger. Les deux sentimens résultent de la situation qu’occupe l’Espagne à côté des grandes Puissances européennes et qui ne répond ni à son extension territoriale ni à sa glorieuse histoire. Se sentant relégué, — arrinconado, comme il dit, — à l’extrémité Sud-Ouest de l’Europe, l’Espagnol s’attriste dans son isolement ; mais ce pessimisme est-il justifié ? Le temps que mettra l’Espagne à reprendre la