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d’impératif catégorique. En vain, proclama-t-il le primat de la raison pratique sur la raison théorique qui, à l’en croire, ne saurait nous donner la certitude à laquelle nous élève d’emblée l’obligation morale. En vain, démontra-t-il que l’existence d’une loi à réaliser dans notre for intime postule l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. La loi morale de Kant, qui ne nous est pas imposée et qui ne peut l’être par une autorité extérieure dans le doute où nous laisse la Critique de la raison pure d’une réalité qui nous serait étrangère, cette loi est, en fin de compte, relative à chacun de nous, puisque nous nous la donnons à nous-mêmes. Kant a beau prescrire, pour éviter cet écueil, d’ériger les maximes auxquelles nous croyons devoir conformer notre conduite en règles universelles, afin de distinguer ce qui est moral de ce qui ne l’est pas, ce qui figure la loi de ce qui n’en représente que la contrefaçon, le sens individuel n’en demeure pas moins l’unique juge de nos actions. On sait à quelles aberrations, individuelles ou collectives, le sens propre peut prêter, en dépit d’un tel stratagème. Si grand que soit son rôle et si éclatante sa lumière, la conscience morale risque fort de s’égarer quand on ne lui laisse aucun point de repère pour l’aider à retrouver sa route.

Or, non seulement Fichte ravit à la conscience tout point de repère, mais il supprima les barrières qui pouvaient s’opposer à la libre expansion du moi. Aussi bien, tandis que Kant laissait subsister derrière les apparences sensibles une réalité en soi à laquelle, à la vérité, il prétendait que l’esprit impose sa forme, Fichte dissipe jusqu’à ce dernier fantôme d’existence extérieure à l’homme. Il pose, délibérément, l’identité du moi et du non-moi. Autrement dit, le moi crée le monde qui nous environne : ce n’est pas un obstacle qu’il rencontre, c’est une limite qu’il se donne. Absolument libre, avec toute réalité le moi fait toute vérité. De souverain législateur, il est promu au rang de souverain créateur. Il n’est rien qui doive ni qui puisse lui résister, puisque c’est, en fin de compte, de lui que tout dérive. Agir et agir le plus possible est, dès lors, la seule loi, la loi première et ultime qui ne saurait se subordonner à aucune autre pour cette excellente raison qu’il n’y en a point d’autre et qu’elle est tout. C’est, dans le plus radical subjectivisme, le plus complet affranchissement de la personne. Il en résulte que tout acte, quel qu’il soit, est licite