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avec l’aide des Anglo-Saxons, auraient fondé les États-Unis ! En fait, le germanisme s’annexe sans vergogne toutes les supériorités d’où qu’elles soient. Dépouillant, quand il lui convient, la notion de race, — dont le germanisme pourtant fait si grand cas, — de tout élément ethnologique pour ne s’en tenir qu’à des affinités psychiques, M. Chamberlain établit que tout ce qu’il y eut de bon en Europe, fût-ce en France ou en Italie, ne pouvait être que germanique. Il revendique, à ce titre, saint François d’Assise, Dante, Shakspeare, Rembrandt, Pascal et Racine. Allemande elle-même serait Jeanne d’Arc ! Que les Alsaciens-Lorrains, d’autre part, demeurent fidèles à la France, cela ne prouve-t-il pas, à en croire maints docteurs d’outre-Rhin, qu’ils sont, au fond, allemands, la fidélité étant, par excellence, une vertu teutonne ?

Tandis que l’Allemagne est envisagée, comme « le cœur de la planète » ou « le sel de la terre, » d’après les propres paroles de Guillaume II, l’esprit germanique symbolise « l’esprit du monde nouveau, » dont les savans allemands s’intitulent les Messies. Il en résulte que la science allemande n’a rien à faire avec la science tout court, « car elle n’est point quelque chose d’extérieur par rapport à la Nation elle-même…, elle est l’essence véritable, la substance, le cœur de la Nation. » Au même titre que la race et le pays allemands, elle est une émanation de l’Absolu. Le germanisme, en fin de compte, serait issu, d’après Ferdinand Schmidt qui en fait honneur à Luther, « d’une nouvelle révélation spontanée de l’Esprit universel dans l’âme des peuples germaniques. » De cette révélation, l’État allemand serait l’organe. Le professeur Adolf Lasson ne se targue-t-il pas d’y voir « la création la plus parfaite que l’histoire ait connue ? »

La superstition étatiste remonte fort loin en Allemagne. Pour Hegel, l’État est l’idée suprême de la raison et, par suite, la suprême réalité objective. Il faut, par conséquent, conclut ce philosophe, non seulement lui obéir, mais le vénérer comme un Dieu. Toutefois, l’État ainsi divinisé est, entendons-nous bien, l’État prussien, et par extension, depuis que la Prusse a pris la direction des destinées de l’Allemagne, l’État allemand. Dieu n’est plus, dès lors, que la somme des ambitions germaniques, l’expression mystique de leur commune volonté de puissance. Il est ce « bon vieux Dieu allemand » qu’invoquait