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l’Empire. En réalité, ils revendiquent à peu près toute la terre, ceux qu’ils reconnaissent comme leurs et ceux qui ne le sont pas, pour qu’ils le deviennent. « Aussi loin que la langue allemande résonne et élève des hymnes à Dieu dans le ciel, cela doit être à toi, vaillant Allemand. » Aux motifs linguistiques s’en ajoutent d’historiques. C’est ainsi qu’ils réclament tout territoire sur lequel auraient vécu, autrefois, des Germains. Bien plus, comme l’Empire est appelé, selon Treitschke, à jouer un rôle « transcendant, » le monde entier doit lui être assujetti. Quelle plus belle destinée, d’ailleurs, le monde pourrait-il souhaiter ? Synthétisant le goût artistique des Italiens, la raison des Français, le talent historique des Anglais, la poésie et le patriotisme des Espagnols, le génie germanique, qui prend pleine conscience de lui-même dans l’Etat allemand, est seul capable d’élever à l’infini les qualités de chacun. Par sa disposition, l’Etat allemand, en effet, ne représente pas seulement la Kultur : il est la Kultur même.

Aussi bien, le militarisme prussien en fait partie intégrante, une armée scientifiquement organisée et plus forte que celle de toutes les autres nations formant son indispensable instrument, soit pour menacer, soit pour vaincre, alors que la menace ne réussit pas ou qu’il convient de favoriser par les armes l’expansion germanique. Encore sied-il de préparer par un judicieux réseau d’espionnage, de compromissions et même d’outillage à l’étranger, l’ultime recours à la violence. C’est par la guerre que l’État se constitue. C’est par elle que l’État allemand s’est formé. En conséquence, la guerre, — celle-là seule, bien entendu, que fait l’Allemagne, — est sainte. L’Allemagne n’en a jamais fait d’autre ; elle n’en peut faire que de cette sorte, ce qui se comprend de reste, puisque, nation élue, elle est la nation-Dieu.

Dans l’accomplissement d’une aussi sainte œuvre, il va de soi qu’aux mains de l’Allemagne tous les moyens sont bons. Il ne saurait donc être question, pour elle, de respecter les conventions relatives au droit des gens. « Les traités que les belligérans ont conclus entre eux, spécifie le général von Blume, perdent leur valeur juridiquement astreignante, dès que la guerre a éclaté. » L’idée de guerre apparaît aussi bien, à l’esprit des théoriciens teutons, exclusive de toute limitation au nom de l’humanité. « On ne fait pas la guerre un catéchisme à