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serait pas un si grand malheur qu’Il s’en allât ! » Encore avaient-elles, l’une et l’autre, connu les temps de l’épreuve avant ceux du triomphe. Elles avaient vu, de leurs yeux vu, ce qu’Il avait fait pour la dynastie et pour elles-mêmes. Elles n’avaient atteint l’Empire que tardivement, après avoir débuté et longuement vécu dans le personnage plutôt subalterne d’une simple reine ou d’une princesse royale de Prusse.

Mais Guillaume II arrivait au trône à peine âgé de trente ans ; il avait été élevé depuis son enfance dans le rayonnement de la splendeur impériale et dans l’attente de cette succession ; l’Empire ne lui était pas échu comme un cadeau des Princes ou du Peuple, ni par la grâce du génie bismarckien ; c’était un bien héréditaire que son père et son grand-père lui avaient transmis « par la grâce de Dieu, » et qu’il avait désormais à sauvegarder et à transmettre pareillement.

Guillaume II tenait « pour valable toujours ce mot du grand Frédéric, qu’un roi de Prusse est le premier serviteur de l’Etat ; » mais il déclarait aussi que dans l’Empire, c’est le Kriegsherr, le Chef de guerre, qui, ayant fait naguère toute la besogne, devait toujours avoir le premier rang : « C’est le soldat, c’est l’armée, ce ne sont ni les majorités ni les résolutions parlementaires qui ont forgé l’unité de l’Empire, » disait-il aux gens de Berlin (18 avril 1890) et il ajoutait aux gens de Dusseldorf (4 mai 1891) : « Il n’y a qu’un maître dans l’Empire ; c’est moi ; je n’en souffre pas d’autre, — Einer nur ist Herr im Reiche, und das bin Ich ; keinen anderen dulde Ich, » et pour que l’Allemagne du Midi et de l’Ouest, où subsistait toujours le mauvais esprit de la France et de la Révolution, n’en pût ignorer, il écrivait sur le livre d’or des gens de Munich (9 septembre 1891) : « Suprema lex, régis voluntas. La loi suprême ; c’est la volonté du Prince. »

C’était, dans l’empire de Bismarck, une théorie nouvelle ou, du moins, la reprise d’une théorie que l’Allemagne bismarckienne avait un peu oubliée. Depuis 1813, malgré sa déférence pour ses souverains légitimes, l’Allemagne avait attaché moins d’importance à leurs volontés qu’au salut du peuple. Napoléon, un peu rudement, lui avait inculqué la formule romaine salus populi, suprema lex ; tout « l’esprit allemand » de la Germanie francisée tenait, en somme, dans ces mots, et Bismarck n’avait pu réconcilier cet esprit allemand à son