Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fidèles et pour l’ensemble : il a voulu que l’Allemagne devînt par le commerce, l’industrie et l’agio la plus riche qu’il se pouvait ; il a, de sa personne, travaillé à multiplier chaque jour les instrumens de la fortune publique au dedans et les occasions de succès économiques au dehors. Il a éveillé ou surexcité dans toutes les classes de son peuple un âpre désir d’argent, qu’il s’est efforcé de contenter.

Fut-ce un bien pour l’Allemagne ? M. de Bülow, quand il écrivit son livre, pensait déjà que, si les particuliers en ont profité, la Nation en a plutôt souffert et qu’une Allemagne moins riche, mais plus politique, moins enfiévrée d’affaires, mais plus curieuse d’idées morales et de libres discussions, aurait été plus forte contre les dangers qui continuaient de menacer son unité : « Ils sont passés, disait M. de Bülow, les temps où il n’importait pas au bien de l’État que la Nation comprît quelque chose aux lois qui lui étaient octroyées. Dans les questions économiques, s’agitent sans doute les groupemens d’intérêts agricoles, commerciaux et industriels ; mais, en général, l’Allemagne subit les décisions législatives avec l’entière passivité d’un sujet à intelligence bornée… Une participation active à la marche des affaires politiques, voilà ce qui nous fait défaut, à nous autres Allemands… Le destin pourrait bien entreprendre de nous éduquer à ce point de vue… Espérons qu’elles ne seront pas trop cuisantes, les épreuves qui ajouteront le talent politique aux dons nombreux et brillans que nous avons reçus. »

Quant aux résultats pour le reste de l’humanité, M. de Bülow, quand il écrivit son livre, ne pouvait pas les mesurer comme nous faisons aujourd’hui. Peut-être aurait-il pu les prévoir. Mais il était diplomate ; il semble que les choses du métier lui aient un peu masqué les autres : il crut que ses victoires diplomatiques avaient à jamais assuré le présent et l’avenir de la paix mondiale. La « politique anglaise d’encerclement de l’Allemagne » avait été vaincue, balayée, disait-il, dans la crise bosniaque de 1909 ; elle ne pourrait plus renaître, et comment aurait-elle pu, d’ailleurs, ne pas se briser sur « le rocher de bronze de la Triple Alliance ? »

M. de Bülow ne voulait pas voir que la Weltpolitik, conséquence inéluctable des conceptions et des besoins de l’Allemagne fidèle, acculait le Patron, et plus étroitement chaque jour, à