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grand-duc Nicolas et son état-major étaient naturellement parmi les plus impatiens et les plus violens à réclamer une solution énergique.

Pendant ce temps, les Turcs aussi se montaient de plus en plus l’imagination. Des secours leur vinrent de l’Angleterre ; des officiers anglais s’engagèrent dans la gendarmerie turque ; nous les retrouvions plus tard sur le champ de bataille et derrière les fortifications où vinrent mourir nos soldats. La presse anglaise et une grande partie de celle de l’Occident en général soutenaient la Turquie et l’encourageaient à la résistance, séduites surtout par la Constitution qui commençait à être appliquée. Un firman du Sultan (ou même un hatt, je crois) ayant proclamé le nouveau statut, une assemblée devait se réunir pour rédiger et voler les détails de la nouvelle organisation. L’ouverture solennelle de cette espèce de Constituante au palais de Dolma Baghtché nous était annoncée, et nous fûmes invités à venir y assister. Je m’abstins avec ostentation de paraître à cette comédie, et le chargé d’affaires d’Allemagne, docteur Busch, suivit mon exemple. A l’occasion de la mise à exécution du nouveau statut, un homme d’État turc, longtemps éloigné des affaires, reparut sur la scène politique : c’était Ahmed Véfik effendi, ci-devant ambassadeur à Paris et à Téhéran, savant Oriental très estimé et d’un caractère très indépendant. Il fut nommé président de la Chambre et s’acquitta parfaitement de son devoir, dit-on. Je le connaissais par M. Onou qui entretenait de tout temps des rapports intimes avec lui. Quoique taxé d’anglophilisme, Ahmed Véfik était effrayé de la perspective de la guerre vers laquelle on poussait la Turquie. Il était allé l’année précédente en Russie, à un congrès d’orientalistes, et y avait contracté quelques relations avec des personnages influens, et entre autres avec M.de Jomini ; il résolut d’en user et de mettre aussi à profit son influence sur son souverain, qui était, comme il l’est encore aujourd’hui, sincèrement pacifique, pour essayer de servir d’intermédiaire entre la Russie et la Turquie et tâcher d’amener un arrangement direct entre les deux empires. Il fut question de l’envoyer en ambassade spéciale à Pétersbourg. Cette combinaison plut chez nous ; j’étais chargé de l’encourager ; mais bientôt, un vent guerrier souffla à Constantinople. Mehmed Ruchdi fut destitué ; Edhem pacha, homme d’esprit, mais atrabilaire et