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impatient, le remplaça ; le faible Safvet resta ministre des Affaires étrangères, et la Porte devint encore plus intransigeante. Le parti de Midhat, qui était le vrai parti de la guerre, usa de tous les moyens pour empêcher un arrangement. Une brochure fut imprimée, qui contenait de prétendues révélations sur l’origine des affaires bulgares et bosniaques qu’elle attribuait aux intrigues du gouvernement russe. On dévoilait ces intrigues par une série de pièces diplomatiques, soi-disant volées à un courrier de notre ambassade à Vienne. C’était un certain Giacometti, homme de Khalil Cherif pacha, qui était l’auteur de cette falsification assez mal faite, il faut l’avouer, car je pus, rien qu’à une lecture superficielle, y relever des fautes de dates, de faits et de noms telles qu’elles détruisaient toute confiance dans leur authenticité. J’en fis citer quelques-unes dans les journaux, et en remis la liste complète à Edhem pacha, que je trouvai un jour lisant ce produit de la haine de Midhat et de Khalil. La masse des Turcs politiquans y crut cependant, et l’excitation des esprits en fut accrue. Avec cela, les préparatifs militaires allaient leur train : on recrutait des hommes pour compléter les cadres ; on promettait des primes aux enrôleurs ; chaque bateau amenait d’Asie des masses de gens qu’on faisait entrer dans les bataillons destinés à opérer contre nous et dont l’effectif arrivait ainsi quelquefois au chiffre de 1 000 hommes et même plus. C’est ce qu’on n’a jamais voulu croire chez nous, quoique j’en prévinsse le gouvernement, sur la foi de renseignemens que me donnaient aimablement l’agent militaire français, M. de Torcy, et le secrétaire de l’ambassade allemande Hirchfeld, qui était lui-même militaire. Car d’agent militaire russe, je n’en avais justement pas, au moment où sa présence aurait été le plus nécessaire, le colonel Zélenoy ayant été envoyé pour des travaux de délimitation en Asie.

Des préparatifs militaires se poursuivaient avec la même activité dans la marine turque. La belle flotte cuirassée dont Abdul Aziz avait doté la Turquie était mise sur pied de guerre, et Hobbart pacha nommé commandant de cette escadre. Des monitors étaient envoyés à l’entrée du Bosphore, à Buyukdéré et à Kavak pour surveiller la Mer-Noire. Comme si nous pouvions faire par-là quelque mal à la Turquie ! On aurait facilement pu, depuis 1870, où nous avions récupéré notre liberté de