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foule, composée pour la plupart de Grecs, se mit à en faire autant, à me bénir et à m’exprimer des vœux de bon voyage et de succès.

Arrivé à bord, j’y trouvai presque tout le corps diplomatique, ainsi que les marins des stationnaires étrangers qui s’étaient réunis pour prendre congé de nous. Les Anglais seuls brillèrent par leur absence. Tout était bientôt prêt pour le départ, les effets embarqués, les embarcations hissées ; il ne manquait plus que M. Onou, qui devait, après la remise de la note, venir nous rejoindre pour qu’à six heures nous pussions lever l’ancre. Le corps diplomatique s’éloigna petit à petit ; M. de Montholon, premier secrétaire français, arrivé en retard, monta le dernier à bord pour me serrer la main. Six heures avaient sonné depuis quelque temps, et M. Onou ne venait pas encore. Nous commencions à en concevoir quelques inquiétudes : en réalité, tous les ministres réunis à la Porte avaient voulu prendre congé de lui, recommençant les supplications de surseoir aux mesures extrêmes ; enfin, au dernier moment, Safvet pacha, ministre des Affaires étrangères, avait refusé de signer le reçu d’usage, avec indication de l’heure à laquelle la déclaration de guerre lui avait été remise. Sur ces entrefaites, une averse de printemps vint rafraîchir l’air, et, lorsque la pluie eut cessé, un superbe arc-en-ciel se dessina sur le ciel ; un léger brouillard recouvrait la mer, et la pointe du Sérail, avec Sainte-Sophie, émergeant seule dans les airs comme une vision céleste, recevait les rayons dorés du soleil déjà près de l’horizon. C’était un spectacle féerique, une espèce de rêve, de tableau fantastique dont nous ne nous lassions pas d’admirer la beauté presque surnaturelle et qui, dans ces momens solennels, nous paraissait pleine de glorieux présages. Enfin, M. Onou arriva et l’Eriklik se mit en marche, escorté par l’Argonaute, qui était chargé de torpilles et destiné à nous défendre dans le cas où la flotte turque tenterait de nous attaquer ou de nous arrêter en route.

Cette appréhension, très répandue à Pétersbourg, était évidemment puérile, quoique, le lendemain de mon départ, le Conseil des ministres, à la réception de la nouvelle que nos troupes avaient déjà passé la frontière, ait discuté l’idée s’il ne fallait pas donner aux bâtimens turcs qui se trouvaient aux bouche » du Danube l’ordre de barrer le passage à l’Eriklik et