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à consentir aussi franchement à sa damnation qu’à vouloir être sauvée ; c’était en cela que consistait le fameux acte d’abandon qu’on enseignait… Ces façons de parler étaient si communes, que les rouges même les tenaient ; jusqu’aux sœurs converses et aux servantes, il n’était plus question que de pur amour. Et il y en avait qui, au lieu de faire leur ouvrage, passaient leur temps à lire les livres de Mme Guyon, qu’elles croyaient entendre. »

Indignations sincères, mais que l’on sent inspirées et grossies par le remords ! Ou peut-être par la jalousie : celle qui tint la plume ne fut sans doute point du « petit troupeau. » Oui, « jusqu’aux sœurs converses et aux servantes ! » Quel dommage que Molière ne fût point caché derrière une porte I Mais pourquoi donc interdire aux servantes le pur amour ? Sainte Thérèse, certain jour, n’eut-elle pas une extase pendant qu’elle tenait la queue d’une poêle à frire ?

Accordons pourtant quelque chose aux Dames. Mettons qu’il y ait eu des excès, des raffinemens ; mettons encore quelque orgueil. Songeons que nous sommes dans une communauté de femmes, et qui n’ont point fait vœu de pauvreté spirituelle. Reconnaissons que le diable, qui ne craint aucun déguisement, a bien pu se glisser ça ou là dans les bosquets du pur amour. Disons, surtout, que Mme Guyon était une « sainte » bien dangereuse pour Saint-Cyr, et qu’il eût mieux valu qu’on ne l’y vit point. Mais ne soyons pas tout à fait injustes, et reconnaissons que, durant ces quelques années, parmi ces jeunes religieuses et ces enfans à l’imagination toute pure encore, une grande ferveur régna, et Dieu fut, à Saint-Cyr, aimé très noblement, très tendrement, très précieusement. Il y eut un goût du sublime dans la dévotion qui rappelle celui que nous avons rencontré dans la poésie ; qui ne fut, avec ses dangers, ni moins naïf ni moins touchant ; et pourrait-on dire que Saint-Cyr fût une aussi parfaite image de notre XVIIe siècle s’il n’avait connu ni l’un ni l’autre ?

De cet état d’esprit, de cette émulation des Dames pour une vie parfaite, nous avons un témoignage que je voudrais rappeler. C’est une consultation que Mme de Maintenon, mère toujours en éveil sur ses filles, adressait un jour confidentiellement à l’évêque de Chartres. En voici quelques traits :

« Ma sœur de Veilhan aspire avec une grande inquiétude à