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enlumineurs français du XIVe siècle qu’est venu tout l’ « appareil » extérieur de cet art, où la rondeur de visages exsangues contraste avec la frêle minceur des lignes du corps. Et puis, presque tout de suite, il a suffi de l’arrivée à Cologne de peintres flamands, élèves de Thierry Bouts et de Rogier van der Weyden, pour substituer dorénavant aux pieuses images chantantes des premiers peintres rhénans un art tout réaliste et fixé sur le sol. Semblablement, c’est chose bien certaine que, dans celui de tous les arts qui, seul avec la métaphysique, peut être regardé comme lui appartenant en pleine possession, la « poussée » initiale est venue à l’Allemagne des musiciens d’Italie ; après quoi ses propres musiciens n’ont produit d’œuvres entièrement belles que pendant le siècle où, dans leur art, la lourdeur et la disproportion et la confusion allemandes ont été tenues en laisse par le goût « latin. » Il y a eu là, entre les débuts de Haendel et les derniers chants de Mozart, cent années où l’influence italienne et l’influence française ont réussi à « dégermaniser » assez profondément la musique allemande pour lui permettre d’offrir désormais au monde un type de perfection pour ainsi dire idéal, avec une harmonie de la forme et du fond qui jamais ne s’est renouvelée dans l’histoire des arts. Sans compter que longtemps encore après la fin de cette heureuse période, — en fait jusqu’à la mort de Beethoven et du jeune Schubert, — des restes de l’influence « classique » ont permis à la « forme » musicale allemande de ne pas trop souffrir des empiétemens du mauvais goût national. Mais combien celui-ci s’est ensuite vengé, et combien l’œuvre même de Richard Wagner, malgré tout l’effort incessant de ce « vieux sorcier » à faire revivre dans sa musique la poésie sensuelle et « latine » de Mozart, combien cette œuvre aurait eu de peine à nous séduire autant qu’elle l’a fait, si son apparition n’avait pas coïncidé avec une époque où l’on aurait dit que nous nous étions juré de subir joyeusement tous les sacrifices pour nous laisser pénétrer de l’esprit et des goûts de nos puissans vainqueurs ?

Un exemple significatif de cette « docilité » de la musique allemande nous est donné dans l’histoire de la célèbre, — trop célèbre, — école de Mannheim, bruyamment glorifiée depuis vingt ans par les musicographes d’outre-Rhin comme l’initiatrice de l’art symphonique de notre temps. En réalité, cette école était simplement une espèce d’atelier où d’habiles « praticiens » allemands s’occupaient à composer, pour l’usage à peu près exclusif de Paris et de Versailles, des symphonies et autres pièces conformes à notre goût musical français.