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une condition impossible. Comment, en effet, pourrions-nous la satisfaire ? Est-ce que nous possédons la Thrace turque, la Macédoine serbe, la Macédoine grecque et la Dobroudja ? M. Ghenadief énumère avec complaisance tout ce que la Serbie et la Grèce auront par la suite. Elles l’auront, soit, mais elles ne l’ont pas encore. Telle que M. Ghenadief l’établit, la partie n’est pas égale entre la Bulgarie, qui aurait satisfaction tout de suite et les autres États balkhaniques, qui ne l’auraient que plus tard. Pour la Bulgarie le présent, pour les autres le futur, peut-être le conditionnel. Pourquoi cette différence ? On croirait vraiment que M. Ghenadief n’est pas aussi assuré qu’il parait l’être de la victoire des Alliés, puisqu’il veut son lot immédiatement. Allons au fait. Est-ce que M. Ghenadief attend de nous que nous prenions par la force à la Serbie, à la Grèce, à la Roumanie, les territoires qu’il convoite ? Non sans doute ; il pense que nous sommes à même de les obtenir par la persuasion. Mais il faut du temps pour cela, et M. Ghenadief le sait bien, car il a l’expérience des négociations diplomatiques. Nous propose-t-il sérieusement d’aller demander, à brûle-pourpoint, Cavalla à la Grèce pour le donner à la Bulgarie, et cela au lendemain d’élections où cette question de Cavalla a joué un si grand rôle ? Nos lecteurs connaissent notre opinion sur ce point : nous jugeons désirable et légitime que Cavalla appartienne à la Bulgarie, mais cela peut-il se faire du jour au lendemain, ou plutôt le jour même ? Savons-nous même quelles seront les dispositions de M. Venizelos et ce qu’il pourra faire quand il reviendra au pouvoir ? Et les Serbes ? Pouvons-nous leur demander ce que M. Ghenadief appelle la Macédoine serbe en échange de territoires qu’ils auront plus tard, s’il plaît à Dieu ? Est-ce qu’ils y consentiraient ? Sans doute les Alliés peuvent avoir quelque influence sur eux, mais cette influence a des limites, et des faits récens donnent à croire qu’on les atteindrait bientôt si on brusquait les choses. Les Serbes ont la prétention d’avoir travaillé pour eux et non pas pour les autres, et ils ont travaillé rudement ! Ils ont droit à des ménagemens. Mais le comble, — qu’on nous passe le mot, — est quand M. Ghenadief nous demande la Thrace turque, c’est-à-dire Andrinople. Il semble oublier que nous sommes en guerre avec la Porte. Là, point de négociation : la force seule peut opérer. Elle opérera sans nul doute, mais elle ne l’a pas encore fait. Nous sommes dans l’impossibilité absolue de donner dès maintenant la Thrace turque à la Bulgarie. Il faut d’abord la conquérir et, si M. Ghenadief veut bien nous en croire, il nous aidera à le faire.

La même solution s’impose à tous les États balkaniques suscep-