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le fait accompli. Les Puissances durent intervenir et, dans l’intérêt de la paix, elles obligèrent les Monténégrins à évacuer Scutari. On exerça sur eux une pression très forte, qui fut efficace ; mais il est facile de se rendre compte de l’amertume de leurs regrets et, comme d’autres, ils attendirent une occasion de revanche. Nous vivons dans un temps où il ne faut désespérer de rien. Les journaux ont raconté la nouvelle entrée des Monténégrins à Scutari : elle a été très brillante et s’est faite sans la moindre difficulté. Les Bulgares entreraient aussi aisément à Andrinople, s’ils le voulaient, et on ne comprend guère pourquoi ils s’en abstiennent. L’occupation de Scutari par les Monténégrins n’a pas été mieux vue à Rome que celle de Tirana et d’Elbassan par les Serbes et cette fois encore il a été convenu que l’avenir n’était pas engagé. C’est à peine s’il était besoin de le dire. Rien de ce qu’on fait en ce moment n’est définitif ; tout sera un jour l’objet d’un règlement général où les intérêts de chacun entreront en ligne. Mais le prince de Bismarck, avec son réalisme, avait coutume de dire : Beati possidentes ! Heureux ceux qui sont en possession, ceux qui ont quelque gage en main ! Pour n’avoir pas été comprise dans le Discours sur la Montagne, cette béatitude n’en a pas moins, dans l’humble domaine de cette terre, une réelle valeur.


La dernière note que le président Woodrow Wilson a adressée à l’Allemagne, à la suite, de la destruction du Lusitania, date déjà de plus d’un mois. Nous n’en avons pourtant encore rien dit dans l’espoir que la réponse de Berlin ne pouvait manquer d’arriver bientôt et nous aurions préféré parler ensemble des deux documens ; mais on désespère alors qu’on espère toujours. Il semble d’ailleurs bien que si le gouvernement allemand n’est pas pressé d’envoyer sa réponse, le gouvernement américain n’a montré jusqu’ici aucune hâte de la recevoir. Pourquoi ? Nous l’ignorons. On a dit que la note de M. Wilson était moins forte que la précédente : ce n’est pas notre sentiment. Dans le désir qu’il pousse parfois un peu loin de ne se donner aucun tort de forme, M. Wilson emploie volontiers les formules les plus lénitives, les plus conciliantes, les plus confiantes et bienveillantes ; mais, dans le fond, il ne varie pas et sa dernière note reproduit avec une fermeté suffisante les questions qu’il avait déjà posées. Il était facile de prévoir que la presse allemande ne verrait que les complimens et les politesses de la note américaine et elle n’a pas manqué de le faire. Elle a grandement loué le ton courtois et amical de M. Wilson. À l’entendre, tout s’arrangera et même tout est