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moment où ses pensionnaires étaient allés prendre leur bain de vapeur, le Dr Lippelt a fait fouiller leurs vêtemens et s’est approprié tout ce qu’ils avaient d’un peu précieux, montres, bagues, etc., sous prétexte de se payer ainsi de ses soins, l’argent russe ayant cessé d’avoir cours. Puis il a renvoyé tous ces malades, dont plusieurs, incapables de marcher, auraient risqué de mourir sur le pavé si d’autres baigneurs russes, logés en ville, ne les avaient point recueillis.


A Kissingen, à Nauheim, à Wiesbaden, des médecins, dont on nous cite pareillement les noms, se sont fait donner par leurs cliens russes, — toujours sous ce même prétexte de la déchéance du rouble, — des objets d’un prix bien supérieur au montant normal de leurs honoraires. Des bourgeois notables de ces villes d’eaux, chez qui de riches baigneurs russes demeuraient, chaque été, depuis des années, et qui toujours jusque-là leur avaient prodigué des marques de respectueuse sympathie en échange de leur traditionnelle libéralité « nationale, » se sont mis tout d’un coup à les traiter comme des malfaiteurs, les contraignant à quitter aussitôt leurs maisons, et mêlant leurs outrages à ceux d’une foule de badauds qui, dans les rues et sur le quai des gares, ne cessaient point de leur jeter des ordures ou des pierres, parmi des cris incessans de : « Mort aux espions russes ! »


II

« Mort aux espions russes ! » ou bien encore : « Mort à ces barbares russes qui nous ont contraints à la guerre ! » Car tels étaient les deux cris qui, d’un bout à l’autre de l’Allemagne, surgissaient de toutes parts au passage des voyageurs russes ; et le plus curieux était que ces deux cris, « soufflés » simultanément à la nation allemande tout entière par un même « chef de claque » invisible, se trouvaient, en outre, avoir pour elle une signification à peu près identique. Du jour au lendemain, par reflet de l’une de ces singulières « contagions » spirituelles qui courent et se propagent en un clin d’œil à travers tout l’empire, l’Allemagne s’était pénétrée d’une double conviction qu’elle ne peut manquer de garder aujourd’hui encore, — puisque l’on sait qu’il en est de ces convictions habilement « suggérées » à l’opinion nationale allemande tout à fait comme des véritables « suggestions » hypnotiques, contre lesquelles on