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Saint-Dié, et qui a demandé des détails, le sergent répond : « Je vais vous dire, madame, tout ce qui s’est passé. Nous allions vers un petit bois, qui avait été reconnu, et où l’on n’avait vu personne. Maurice marchait à ma droite. Il s’est écarté pour cueillir une mûre sur la haie lorsque la fusillade a éclaté, partie des arbres sur lesquels les Allemands étaient montés. Une balle a frappé Maurice au cou. Il est tombé sans rien dire. Il n’a pas souffert. Le soir, on l’a enterré derrière la haie. Je reconnaîtrai l’endroit et, après la guerre, je pourrai vous y conduire, si je ne suis pas tué.

« Je puis vous dire, madame, que Maurice me parlait souvent de vous et de ses enfans. Je vais vous dire aussi que chaque fois que nous avons pu nous arrêter près d’une église, il y est entré pour prier. Je vous dis ces choses parce que c’est la vérité et je pense qu’elles vous feront plaisir dans votre grande peine. » Ce sergent est un ouvrier jardinier.

Voici maintenant une jeune femme, seule au monde depuis que son mari est parti, dans sa modeste maison au milieu des champs. En janvier, elle cesse de recevoir les lettres de l’absent, qui naguère a été nommé sergent. Elle s’inquiète et me prie de faire des recherches. J’apprends qu’il a été tué le 30 décembre, près de Perthes, en conduisant ses hommes à l’attaque. Je lui écris pour lui annoncer la nouvelle et je charge une de ses amies de lui porter ma lettre. Elle reste quelques heures abîmée dans sa douleur et puis prend la plume pour m’écrire ce qu’on va lire :


« Monsieur,

« Monsieur le curé de L… m’avait fait pressentir la fatale nouvelle quand mon amie, Mme D…, m’a apporté votre lettre. Je n’ai le courage de répondre à personne : mais votre lettre m’apporte des paroles qui me vont au cœur et j’ai besoin de vous dire mon chagrin.

« Vous me dites que mon mari veut que j’aie du courage. Je le sais. Je sais même qu’il a compté sur mon courage pour mourir héroïquement. Je voyais dans ses lettres qu’il était préoccupé de moi : je sentais ses hésitations entre ses sentimens pour son pays et le regret qu’il avait de me laisser complètement seule. J’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai écrit : Faites votre devoir comme il se présentera à vous, mon cœur sera toujours à la hauteur de vos actes. Je puis vous le promettre parce que je ne