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accompli par les plus humbles. On a dit que Michelot, à la veille de mourir dans les jardins d’Hyères, saluait avec joie la mort qui allait satisfaire les grandes curiosités de sa vie : il verrait Jeanne la Lorraine, et par elle saurait enfin les sources où elle avait puisé ses inspirations et ses forces, le secret des Voix qui lui avaient parlé sous le chêne de Domremy.

Des hommes vont revenir du combat et nous dire le secret de certaines choses, qui ne sont pas croyables, et que pourtant ils ont faites. Après avoir conté l’histoire des quarante-deux marins qui, sous les ordres de l’enseigne Henry, en 1900, défendirent victorieusement le Pé t’ang pendant trois mois contre cent mille Chinois, Pierre Loti a écrit cette phrase :

« Il faudrait graver quelque part en lettres d’or leur histoire d’un été, de peur qu’on ne l’oublie trop vite, et la faire certifier véritable parce que bientôt on n’y croirait plus. »

Un de ces marins est précisément couché dans notre hôpital, salle 3, lit 76, fracture de jambe par choc indirect d’un obus. C’est Guenezec, Clet, Yves, du village de Theolen en Bretagne, au bord de la baie des Trépassés, où dort la ville d’Ys sous les flots ensevelie. Nous ne saurions pas grand’chose de lui, car c’est un silencieux, si les infirmières, en rangeant ses effets, n’avaient trouvé un petit sac renfermant la médaille militaire, celle du Tonkin et celle de Chine, qu’elles épinglèrent aussitôt à son chevet, et s’il n’avait reçu quelques jours après son arrivée le livre de René Bazin sur l’enseigne Henry, envoyé par l’oncle de l’héroïque officier avec une dédicace touchante. Quand on lui parle de son jeune chef, qui tomba dans ses bras, les larmes lui viennent aux yeux, et, si on lui demande des détails, il offre le livre, ne manquant pas d’ajouter : « On ne se doutait pas d’avance qu’on ferait tout cela, et il arrive depuis qu’on croit ne pas l’avoir fait. »

Voilà bien la marque de certains actes. L’intelligence ne les regarde pas d’abord comme possibles et, après, ne se résout pas facilement à y croire : elle les traite volontiers de légendes. Chaque jour, depuis dix mois, il se fait des choses que la légende ne saurait grandir. Nous fabriquons de la gloire à profusion : et, bien que cette gloire, la moitié peut-être, doive rester à jamais ignorée, ce qui survivra, certifie, prouvé, authentiqué, sera d’une telle richesse que la pensée de la France s’en pourra nourrir et enivrer pendant la suite des siècles. Toute la