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MON CARNET D’ÉCLAIREUR[1]

I


I. — LA MOBILISATION

Dans les derniers jours de juillet, les nouvelles devinrent vite menaçantes ; on parla de la mobilisation russe et, dès ce moment, nous sentions que le sort en était jeté, ou allait l’être.

Les batteries qui étaient parties pour expérimenter un nouveau matériel de 75 rentrèrent au quartier dans la nuit du jeudi 28 juillet. Elles avaient reçu l’ordre de départ à 40 heures et, à 18 h. 30, quittaient le camp : on avait fait vite ! Au quartier, tout le monde était debout, les chambrés prêtes à recevoir les hommes, les écuries éclairées à l’électricité, l’avoine et le fourrage préparés. Un clair de lune splendide rendait très décoratif ce défilé d’hommes endormis, couverts de poussière, et de chevaux éreintés par une aussi rapide étape.

Cette nuit-là, je ne dormis guère ; les conducteurs restés au dépôt recevaient les premiers chevaux de réquisition et partaient chercher les autres ; il y avait beaucoup plus de service de garde

  1. L’auteur de ce « Carnet » est un brigadier d’artillerie qui y a consigné au jour le jour ses impressions depuis le début de la guerre jusqu’au moment où, ayant été blessé, après avoir été mis à l’Ordre du jour de l’armée, il, a dû prendre un repos provisoire. Son récit n’a aucune prétention littéraire et n’en est que plus intéressant : c’est la narration pure et simple des faits dont il a été le témoin ou un des acteurs et finalement la victime : le principal mérite en est la sincérité et l’exactitude ; mais l’observation y est précise, le trait souvent pittoresque et le caractère général bien français par la facile et la rapide adaptation à tous les milieux, la bonne humeur constante à travers les épreuves, l’émotion généreuse, le sang-froid et la confiance.