Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaisir d’en avoir enfin ! Il faut écrire souvent aux soldats en campagne ; on ne saurait croire à quel point une lettre arrivant au bon moment remonte le moral. Il suffit d’entendre crier : « Aux lettres ! » pour voir avec quel empressement chacun se précipite vers le bien-aimé vaguemestre : on l’embrasserait presque ! D’ailleurs, toutes les lettres pour nous, sans exception, étaient de vrais modèles de patriotisme et d’abnégation ; rien que des encouragement, des exhortations à la patience ; nous n’en avions pas besoin, car j’ose dire que, du courage et de la bonne volonté, nous en avons toujours eu à revendre ; mais l’attention nous touchait profondément et nous étions réconfortés de voir que, « chez nous, » « ils » étaient si solides… Et pourtant, nous pensions bien qu’ils étaient beaucoup plus inquiets que nous !


V. — APRÈS ARRACOURT

Notre offensive avait enfoncé les premières lignes ennemies de la rive droite de la Seille ; nos troupes suivaient la retraite allemande dans la direction Chàteau-Salins-Morhange. On nous mit en réserve, prêts à marcher.

Le lundi 17, après avoir cantonné à Arracourt (naturellement il avait plu à seaux), nous avançons jusqu’à 100 mètres de la frontière sur la route de Vic ; mais, au bout d’un quart d’heure, demi-tour ! Grande était notre désillusion de ne pas entrer en territoire annexé.

Nous allons à Athienville en évitant le chemin de traverse dans lequel on nous avait malencontreusement engagés, la veille au soir, et d’où nous avions eu du mal a ressortir, les voitures de tête s’étant embourbées et ayant écrasé un ponceau en bois… Ce fut encore un mauvais moment ! Nous formons le parc dans un champ de boue et trouvons notre cantonnement dans une grange à côté d’une maison, sur la place, un peu plus bas que nos coloniaux. Ce mot me rappelle un détail de notre marche sur Réméréville. Le 12, il faisait une chaleur terrible et nous mourions de soif ; qu’on juge de notre joyeux étonnement, lorsque, en traversant un village occupé par les coloniaux, ils se précipitèrent vers nous en nous tendant leurs énormes bidons de deux litres pleins d’eau fraîche ! C’était vraiment gentil, et nous leur avons promis de les récompenser