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par une batterie de 120 court habilement dissimulée sous un bois, un peu à droite en arrière.

Notre première ligne d’infanterie avait ses tranchées au pied de notre éperon, et notre soutien de réserve de coloniale était établi dans une grande ferme sur la route, à 100 mètres avant le canal.

Une telle force d’artillerie, dominant l’ennemi d’environ 60 à 80 mètres, rendait inexpugnable notre position qui ne pouvait être tournée ; il eût fallu des attaques de front pour l’enlever. On sait que les Allemands sont obstinés ; ils en essayèrent, — les malheureux ! — mais en furent vite dégoûtés.

Ce jour-là, naturellement, je repris mon rôle d’éclaireur ; les postes d’observation étaient établis à 1 800 mètres en avant des batteries (que de fils pour les téléphones !), au Nord du cimetière de Flainval, sous des arbres fruitiers bordant la lisière de l’éperon. De là, on découvrait merveilleusement le champ d’évolution de l’ennemi ; on pouvait tirer comme au polygone. Étant donné la grande distance qui séparait les batteries des observatoires, on avait doublé le téléphone par des relais de signaleurs dont la situation devint peu enviable, à partir du moment où notre présence fut connue ; ce grand espace de terrain, presque entièrement découvert, se trouvait en pleine vue des artilleurs allemands, qui envoyaient deux ou trois salves à tout homme qu’ils apercevaient. Je me suis fait tirer dessus ainsi bien des fois, mais c’était peu dangereux ; au bout de quelques jours, on trouvait des abris tout préparés dans les énormes trous de leurs marmites. On se montrait d’ailleurs le moins possible, mais il fallait tout de même la soupe aux officiers, aux téléphonistes, et aux signaleurs, matin et soir ; cela suffisait pour nous faire repérer, et c’était nous, les éclaireurs, qui en avions l’agrément. Quant aux batteries elles-mêmes, elles étaient très difficiles à atteindre, remarquablement dissimulées par le plateau légèrement ondulé qui formait la crête.

J’ai un peu insisté sur cette position ; nous y sommes restés quinze jours et avons repoussé des attaques terribles. L’armée bavaroise, qui nous était opposée, était plus forte que la nôtre. Il eût été tout à fait intéressant pour elle de faire une trouée sur la Meurthe, puis sur la Moselle, entre Toul et Épinal, ce qui lui eût permis détourner la grande armée du général Joffre : ne pouvant appuyer sa droite sur Verdun et Toul, il aurait