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différence avec les pays que nous avions traversés jusqu’alors ; des côtes et des descentes rapides rendaient notre marche distrayante. Quant à l’accueil des populations, il fut touchant : ces gens-là ne savaient que faire pour nous être agréables, et nous avons regretté bien souvent que leur race fût si peu prolifique…

Le 22, même marche vers le Nord-Est, par Croissy-sur-Celle, bon cantonnement, à Hallivillers, avec nos coloniaux, tout heureux de nous retrouver. On parlait de la « deuxième phase » de la guerre, dans laquelle nous venions d’entrer, d’après une proclamation…

Le 23, par Berny-sur-Noye, nous gagnons Thézies, la ville où l’on nous reçut le mieux de toute la campagne ; chacun de nous eut son lit ; je partageai le mien avec un camarade, brigadier à la quatrième batterie.

A Villers-Bretonneux, arrivés le matin, nous y cantonnons, et nous nous préparions à y passer la nuit, lorsque nous arriva un ordre d’offensive immédiate. Je quittai avec regret le gite que j’avais trouvé chez d’aimables habitans, et les batteries partirent en avant, tandis que les trains régimentaires s’arrêtaient à Domart-sur-la-Luce.

Là encore, je devins l’enfant chéri de deux bons vieux qui avaient plusieurs fils à la guerre et qui pleurèrent à mon départ. Quels braves gens !

Il y avait, à Domart, un joli ruisseau, au bord duquel nous allions nous étendre, en surveillant nos chevaux maigres « qui pâturaient ; » on entendait distinctement le canon, et j’avais Un peu honte d’être ainsi « en partie de campagne, » pendant que mes camarades se battaient. Par la suite, ce sentiment ne fit que se développer, au point de me rendre odieux le séjour au train régimentaire.

Après deux jours d’arrêt à ce petit village, qui portait les traces du passage des Allemands (inscriptions à la craie pour le logement, fils télégraphiques coupés), nous partîmes le samedi 26 pour Fresnoy. Notre logement était déjà fait quand nous arriva l’ordre d’avancer jusqu’à Lamotte-en-Santerre. Les jours précédens, j’avais fait, en partie à pied, l’étape, pour laisser ma place à un camarade malade ; il se rétablit heureusement « au trot, » de sorte que je pus regrimper sur mon fourgon. En arrivant le soir au cantonnement, nous distinguions parfaitement les éclairs de la canonnade qui tonnait