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montrer calme à la Reine. Rousseau[1] accourut en pleurant. La Reine l’en gronda doucement, lui disant qu’il ne fallait pas prendre la chose au triste, car cela porterait malheur. J’entrai dans ses idées sur les chances que, politiquement, il pouvait y avoir, et je l’engageai à faire ce à quoi elle avait déjà pensé : à se tenir prête à partir sitôt que la nouvelle serait parvenue à Bregnitz, afin de ne pas se laisser prendre par les Autrichiens, s’ils entraient en Suisse. Je lui aurais volontiers conseillé de garder le secret le plus profond, de faire taire le courrier envoyé par M. Parquin et de le renvoyer bien vite ; de ne rien dire à personne jusqu’à ce que la nouvelle vint d’ailleurs ; mais il était trop tard, les domestiques en savaient autant que moi. Lorsque le courrier était arrivé, à deux heures du matin, la Reine avait fait réveiller Mme Salvage, M. Cottrau et M. Arese[2] pour leur communiquer cette nouvelle et prendre leurs avis…

J’étais triste et silencieuse, lorsque arrive une voiture d’où descend un jeune homme à moustaches. Je me précipite pour savoir quelles nouvelles il apporte, et je le fais entrer dans la Bibliothèque pour que la Reine vienne lui parler… Il nous apportait le coup fatal ! Je l’écoutais, je ne pouvais y croire ! Il se nommait Lombard ; il était chirurgien militaire et l’un des conspirateurs. Il avait passé la nuit avec le Prince. Au moment de l’explosion, il avait été envoyé, avec une escouade de canonniers, s’emparer des presses de Silbermann, du Courrier du Bas-Rhin. Il était là avec ses hommes à faire imprimer une proclamation, lorsqu’on vint lui apprendre que le Prince avait échoué devant le 46e d’infanterie et qu’il était fait prisonnier avec tout son état-major. Un ami a prêté un habit à M. Lombard, qui s’est échappé, et vient nous donner cette affreuse nouvelle. La Reine la recevait avec un courage surnaturel. Moi, je ne pouvais y croire ; je me

  1. Fils de la nourrice de la reine Hortense, attaché au service du prince Louis.
  2. Amis de la Reine et du Prince, hôtes assidus d’Arenenberg.