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une autre prison, même à la citadelle, où il était mieux qu’à celle de la ville, — c’est pourquoi il a pu paraître content, et c’est si vrai qu’il n’a pas emporté une chemise. Il aurait protesté s’il avait su qu’on l’enlevait au procès. Voilà ce qu’il faut expliquer…


Laure à Fanny.

Strasbourg, 5 janvier 1837.

Alphonse est arrivé ce matin, il a été six jours en route pour venir de Paris ici par la diligence ; elle est restée toute une nuit sur place, enfoncée dans quatre pieds de neige. Il a diné avec nous aujourd’hui. Nous n’avons parlé que de ce malheureux procès… Alphonse a été un des premiers entendus, ainsi que mon mari. Ce pauvre Aimé en a été malade d’émotion et me disait en jurant qu’il aurait mieux aimé être en face d’une batterie de canons tirant à mitraille que devant cette Cour d’assises et d’avoir à parler en public. Le Courrier du Bas-Rhin rend fort infidèlement les dépositions : il saute, il tronque, au dire de tous les assistans. Le Journal du Haut et Bas-Rhin n’est guère plus exact. Dans la première séance, en général, on a trouvé Alphonse beaucoup trop verbeux. On a remarqué l’émotion d’Aimé, et on lui en a su bon gré. On a trouvé sa déposition simple, franche et concise, et cet air de bonté et d’honnêteté que tu lui connais a gagné les suffrages ; personne ne l’a tracassé, ni la Cour, ni la Défense… Après cela, il y a beaucoup de gens qui pourtant nous jettent la pierre et ne croient pas à notre ignorance et à notre innocence ; les insinuations perfides et mensongères de M. Parquin compromettent aussi ce bon général Voirol, que cette malheureuse affaire vieillit de dix ans. Il en a tous les jours la fièvre, et tu ne peux imaginer comme on- le tracasse de tous côtés, le gouvernement d’abord… La déposition d’Alphonse sur cette course à Offenbourg, dont il ne dit pas le motif ; mes relations avec Mme Gordon, notre intimité avec M. Vaudrey, mon séjour à Arenenberg, donnent à beaucoup de monde la conviction que nous étions au courant de la conspiration, et tous les éclaircissemens au procès n’ôteront pas cette idée à beaucoup de gens. Tu sais, toi, ma Fanny, s’il y a ombre de vérité dans de pareilles conjectures !