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la défaite de l’Usurpateur et ne pouvaient se tenir de prophétiser ses victoires. Et ils connurent de mauvaises heures dans les milieux anglais où couraient les accusations les plus extraordinaires contre le vainqueur d’Austerlitz et où tout scepticisme de leur part était taxé de trahison. Il eût été choquant de ne pas avoir l’air de croire que cet Antéchrist battait sa femme et ses dames d’honneur et que même, — horrible précocité ! — dès l’âge de onze ans, il avait fait violence à une femme de la plus haute respectabilité. Mais ces tribulations et ces épreuves, qui leur donnaient souvent l’impression d’être en exil dans leur propre pays, loin de l’énerver, fortifiaient davantage le sentiment de leur nationalité. Rejetés par la France, suspectés par l’Angleterre, nos Canadiens puisèrent en eux seuls le courage de résister et la force de triompher.

Dans les trois remarquables biographies qu’il a écrites de Papineau, de Lafontaine et de Cartier, M. de Celles nous a exposé toute l’histoire politique du Canada français au XIXe siècle. M. de Gaspé n’y touche pas plus qu’il n’y a été mêlé. Mais, à la lueur adoucie de ses souvenirs, nous soupçonnons bien des misères vaillamment supportées pendant cette dure période de transition où deux peuples hostiles, dont l’un prétendait dominer et en avait le pouvoir et dont l’autre voulait qu’on respectât ses droits et sa personnalité, furent obligés d’apprendre à vivre côte à côte. Il avait des parens très chers dans le monde Anglais, et sa longue expérience des hommes l’avait allégé de tout parti pris. Il nous déguise d’autant moins les fautes et les injustices de la première domination anglaise qu’elles n’ont jamais été de nature à créer entré ceux qui les commettaient et ceux qui les enduraient d’inexpiables rancunes. Elles provenaient d’une méconnaissance presque absolue du caractère franco-canadien. Les Anglais ont longtemps poursuivi dans leurs nouveaux concitoyens des rebelles possibles que leur forgeaient leur imagination et leurs préjugés. Ils ne se rendaient pas compte de l’admirable héritage de loyalisme que leur avait transféré le Traité de Paris. Les gouverneurs qui furent assez intelligens pour le comprendre se tirent un devoir de réparer leurs fautes ou d’en prévenir d’autres. Ce fut parmi ces premiers gouverneurs, tous militaires, que les Canadiens trouvèrent quelques-uns de leurs premiers défenseurs près de la Couronne d’Angleterre.