Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une mentalité scientifique moyenne, caractérisée par l’admission des postulats énoncés plus haut, et l’écho de discussions, qui ont parfois laissé l’impression qu’il y avait une crise de la science, n’est pas sans provoquer quelque impatience dans nos laboratoires.

Nous avons dit tout à l’heure que le point de départ de la science est dans le sens commun. La première affirmation du sens commun est sans doute celle de l’existence d’objets extérieurs à notre conscience ; c’est un point dont, en général, un physicien ou un chimiste ne doute pas, si compliquée que puisse lui paraître l’idée de matière. Il ne s’embarrasse pas non plus des nombreuses théories de la perception et croit naïvement n’avoir aucune difficulté à atteindre les données immédiates de la conscience.

Quand on parle de sens commun, il s’agit des époques historiques et des peuples civilisés. Ce sens commun a eu probablement son histoire. Il est possible que, dans l’humanité, de très anciennes façons de penser aient survécu, malgré tous les changemens postérieurs survenus dans les conditions des hommes, et on peut soutenir la thèse que nos conceptions fondamentales sur les choses sont des découvertes, résultant d’observations et d’expériences inconscientes faites par certains de nos ancêtres à des époques extrêmement éloignées, et qui ont réussi à se maintenir à travers les siècles postérieurs. Ces conceptions forment le stade du sens commun. Ainsi auraient pris naissance les concepts de chose, de temps, d’espace, d’influences causales, de réel, et bien d’autres, suivant lesquels continue à penser tout homme qui n’est pas atteint de crise métaphysique ou de scepticisme aigu. La notion du réel notamment a été lentement acquise par une suite innombrable d’expériences ; elle n’est pas d’ailleurs seulement individuelle, mais a une signification sociale, en ce qu’elle exige un consensus universel, dans une humanité moyenne, pouvant être différente pour les fous et les hommes d’esprit sain.

C’est donc en partant du sens commun devenu le moule dans lequel évolue la pensée humaine, que s’est développée la science. Aussi a-t-on pu dire très justement que la science était le prolongement du sens commun, la connaissance scientifique n’étant pas en nature différente de la connaissance vulgaire, ce qui n’exclut pas que la science puisse de loin en loin rectifier le