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Kant lui-même, très peu au courant des élémens des mathématiques et des études faites déjà de son temps sur les principes de la géométrie, fut singulièrement malheureux quand il fit à la géométrie l’application de ses idées philosophiques. Pour lui, l’espace est seulement une forme a priori de notre intuition extérieure. Il est difficile de souscrire à cette affirmation, depuis que le géomètre russe Lobatschewsky a prouvé que notre entendement peut concevoir un nombre indéfini d’espaces caractérisés chacun par une constante spatiale. Il n’y a pas en géométrie de jugemens synthétiques a priori, et Euclide était mieux inspiré que Kant en parlant de postulats. Quelques-uns de ces postulats sont en accord avec les expériences faites lentement par l’homme à travers les âges. On ne peut séparer l’acquisition des notions géométriques et celle des notions physiques les plus simples, la géométrie dans des temps très anciens ayant fait partie de la physique. Sans changer l’ensemble de ces notions, on ne peut remplacer la géométrie euclidienne par une autre géométrie et c’est un pur jeu d’esprit que d’imaginer un homme transporté subitement dans un autre milieu, où, n’étant pas adapté, il commencerait sans doute par mourir. Nous retombons ainsi sur le point de vue du sens commun, tel qu’il a été envisagé plus haut. Nous devons alors regarder comme un fait expérimental que la constante spatiale, figurant dans les géométries non euclidiennes (la courbure de l’espace) a une valeur nulle ; en ce sens, le système euclidien est plus vrai que les autres systèmes géométriques. C’était aussi, je dois le dire, le point de vue de Gauss, dont nous avons déjà prononcé le nom à plusieurs reprises, et qui était arrivé de son côté, mais sans les publier, aux résultats de Lobatschewsky sur les géométries non euclidiennes.

C’est une tendance de la science allemande de poser a priori des notions et des concepts, et d’en suivre indéfiniment les conséquences, sans se soucier de leur accord avec le réel, et même en prenant plaisir à s’éloigner du sens commun. Que de travaux sur les géométries les plus bizarres et les symbolismes les plus étranges pourraient être cités ! Ce sont des exercices de logique formelle où n’apparaît aucun souci de distinguer ce qui pourra être utile au développement ultérieur de la science mathématique. Car il en est dans les mathématiques pures comme dans les sciences de la nature. Il y a des études