Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/789

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

former un département de la Chiers, avec Longwy pour capitale.

C’est dans ce petit coin de terre, entre Spincourt et Briey, que se placent mes souvenirs d’enfance. Au moment où j’écris, cette région est encore occupée par les Allemands. Des compatriotes réfugiés me disent que, de mon pauvre village natal, il ne reste qu’un monceau de cendres. Malgré tout, je ne puis croire à une destruction si complète. Des indices, recueillis ça et là dans les journaux, m’inclinent à penser qu’ils se trompent ou qu’ils exagèrent. Pourtant, il est certain qu’une bataille importante a été livrée dans ces parages, au mois d’août dernier. Depuis longtemps, les états-majors avaient désigné Spincourt comme le lieu probable d’une des toutes premières rencontres. Cette rencontre a-t-elle été si furieuse que le village ne soit plus qu’une ruine, et le pays environnant qu’un champ de décombres et de désolation ?… Si c’est vrai, c’est une nouvelle raison pour que je recueille pieusement les images déjà bien décolorées de ce qui n’existe plus que dans ma mémoire. Mais nos logis lorrains ont la vie dure : lors de ma dernière visite, j’ai retrouvé intacte la tapisserie de la chambre où je suis né. Rien n’avait bougé dans la maison, depuis bientôt cinquante ans. Les pierres de nos murs sont à l’épreuve des bombes comme du temps. Si pourtant tout cela est par terre, je suis sûr aussi que tout cela ressuscitera. Encore une fois, les aïeules balayeront, devant leurs seuils dévastés, les ordures des Barbares, et leurs fils rebâtiront le vieux nid séculaire.


III. — PREMIÈRES IMPRESSIONS

A perte de vue, une grande plaine agricole aux ondulations insensibles, une platitude morne qui commence on ne sait où et qui a l’air de ne pas finir, — c’est la Woëvre finissante, aux environs de Spincourt. Au printemps, cette platitude a quelque chose de décourageant pour le regard. L’attention ne sait où se prendre, tant c’est misérable. La bigarrure des champs cultivés morcelle l’étendue en une foule de petites pièces rectilignes et médiocres. Les bois, qui ont repris leurs feuilles, forment d’autres taches vertes, également rectilignes et médiocres, qui découpent avec un faible relief le vert plus laiteux des cultures., Dans le lointain, il y a bien quelque chose qui s’élève au-dessus