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Deux images éclatantes émergent, pour moi, de cette période crépusculaire. Elles datent de la même époque : c’était à Metz, un peu avant la guerre de 1870.

… On me promenait sur l’Esplanade, sans doute à l’heure de la musique. Toutes les familles de la bourgeoisie messine étaient là en parade. Selon la mode de l’époque, je portais une robe écossaise et un chapeau de paille d’Italie à larges rubans de velours noir. Vaguement, je me sentais en gloire. Soudain une autre musique se mit à jouer, au bout de la rue Serpenoise, et une masse rouge, profonde, interminable s’avança sur un rythme allègre, précédée par un homme rouge, qui me parut un géant, et qui faisait le moulinet avec une superbe canne à pomme métallique. Cette grande tache de couleur, qui flambait au soleil et qui marchait dans un vacarme triomphal, me souleva d’enthousiasme. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Figé sur place, je contemplais le défilé avec une émotion presque religieuse :

— Petit bête ! me dit la bonne qui m’accompagnait : ce sont les militaires !

Les militaires ! J’y ai songé, depuis, avec orgueil et attendrissement. Ils devenaient de plus en plus rares, en ces derniers temps, ceux qui avaient vu dans Metz des uniformes français. Aussi, j’avais toujours gardé, au fond de mon souvenir, comme on garde une relique très chère, cette image enfantine. Je n’espérais plus guère qu’elle en sortirait, pour se ranimer à la lumière des vivans. Et voici que tous les espoirs sont permis : j’en suis sûr maintenant, je reverrai les militaires, — les petits soldats de France, sur l’esplanade de Metz.

Et je compte bien aussi que je reverrai la girouette aux trois couleurs sur la plus haute tour de la vieille cathédrale messine. Cette cathédrale, avec son drapeau de tôle peinte, c’est l’autre symbole, qui a ébloui d’abord mon imagination puérile.

Elle m’apparut, pour la première fois, pa r rentre-bâillement d’une étroite ruelle qui s’ouvre sur la rue du Petit-Paris et qui débouche devant le portail. Je n’en apercevais qu’un morceau de façade, et cela me donnait l’idée de quelque chose d’énorme et de colossal. A la vue de la lanterne, avec son mât de pierre dentelée, qui domine de si haut les maisons du parvis, les abat-son de la grande tour, aux lamelles ouvertes comme des bouches, par où s’échappe le grondement sonore de la Mutte, devant les larges verrières toutes fleuries de fines nervures